La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 28 mai 2018

Les trois coups remplaceraient le tic-tac de l’horloge.

Andrus Kivirähk, Le Papillon, traduit de l’estonien par Jean Pascal Ollivry, parution originale 1999, édité en France en 2017 par Le Tripode.

Il s’agit du premier roman de Kivirähk. Le narrateur est mort et nous raconte sa vie d’homme de théâtre à Tallin, depuis la fin du XIXsiècle jusqu’à la Seconde guerre mondiale, avec cet intervalle d’une Estonie indépendante du pouvoir russe. Bien sûr, cela ne nous est pas raconté comme ça. Il s’agit de construire un théâtre, l’Estonia, sans cesse menacé par la présence d’un grand chien gris, esprit de mort et de sérieux, qui s’attaque à tous les comédiens les uns après les autres. Au milieu de tout ça, le narrateur picole avec ses copains, part en tournée, rencontre Erika et traverse les guerres et les révolutions. Malgré le chien gris, on fait toujours du théâtre.

Le monde avait soudain un parfum totalement différent, ma vue était plus perçante, j’entendais des sons que je n’avais jusqu’alors jamais remarqués, et ma peau, devenue tout à coup hypersensitive, percevait le plus infime souffle d’air avec une précision extraordinaire. On venait de me repêcher dans la rivière et on m’avait mis à sécher au soleil, me destinant au grand feu qui apporterait un peu de réconfort à ce monde humide et détrempé.

C’est un texte à la fois drôle et triste, beaucoup moins fort ou prenant que Les Groseilles de novembre ou L’Homme qui savait la langue des serpents, mais très touchant, peut-être à cause de sa simplicité. On trouve à nouveau cette capacité de Kivirähk à traverser à grandes enjambées l’histoire estonienne, en mêlant le quotidien trivial à la magie et au merveilleux. Les sorcières ne sont pas si loin, leur sang coule encore dans les veines de quelques rares créatures. C’est une façon de raconter la transformation du monde à travers la vie d’un individu, avec des regrets et de la mélancolie, tout en rendant hommage au perpétuel mouvement de la vie.
Le tout avec beaucoup d’humour macabre.
Un roman émouvant, malgré ses nombreuses facéties.
 
Le théâtre d'Ostie.
Nous jouions dans le froid, sans chauffage, sur une scène obscure que chaque comédien devait contribuer à éclairer en tenant une chandelle à la main, quel que soit son rôle ; cela rendait passablement absurdes les textes qui parlaient de l’éclat du soleil ou de la chaleur de l’été, mais le public n’en avait cure, et il engloutissait avec une voracité effarante chaque bouchée – plaisanterie, larme, baiser – que nous lui jetions en pâture. Il nous fallait monter, encore et encore, de nouveaux spectacles, vivre toujours plus intensément nos rôles, pour résister à la mort et au chaos qui s’infiltraient par tous les interstices.

Est-ce que ça ne vous donne pas envie de vous précipiter au théâtre ?

6 commentaires:

miriam a dit…

J'aimerais bien le lire quoique, en ce moment, j'ai une pile de lectures grecques à terminer. Très belle expos sur les Âmes sauvages (symbolisme balte) au musée d'Orsay

eimelle a dit…

oh si, ça donne envie!

nathalie a dit…

Oui j'ai entendu parler de cette expo, un art qui nous est parfaitement inconnu. Je pourrais peut-être consulter le catalogue.

nathalie a dit…

Il n'est pas très difficile de te donner envie d'aller au théâtre, toi !

Lili a dit…

Je me rappelle ton billet sur "L’Homme qui savait la langue des serpents" ; j'ai failli l'acheter le weekend dernier d'ailleurs (et puis j'ai décidé d'être raisonnable, sachant que j'avais déjà glané la blinde de livres ailleurs). Mais Kivirähk me fait vraiment de l'oeil. Je pense que je ne tarderai pas à craquer.

nathalie a dit…

À mon sens, L'Homme qui... est le roman le plus ambitieux. Assez complexe, ce qui le rend intéressant, et pas exempt de défauts d'ailleurs, qui ont été soulevés par quelques blogs. C'est un auteur qui ne ressemble à aucun autre, il a une vraie originalité de pensée.