La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 8 août 2017

Il est noble d’être malheureuse et il n’y a pas de bonheur acheté avec des vilenies.

Camilo Castelo Branco, Mystères de Lisbonne, traduit du portugais par Carlos Saboga et Eva Bacelar, parution originale 1854, édité en France par Michel Lafon.

Un roman feuilleton – si l’on aime, on adore.

Nous lisons soi-disant le manuscrit laissé par un mourant. Le narrateur est un adolescent de 15 ans, élevé dans un couvent de Lisbonne, orphelin. Suit l’histoire de la découverte de sa mère et de son père (passion, honneur, argent, amour contrarié, bandit, tout y est). Apparaissent pourtant quelques étrangetés. Puis la focale se déplace vers le prêtre protecteur de la veuve et de l’orphelin, qui a lui aussi un passé bien mystérieux et qui est présent à chaque fois qu’il s’agit de sauver quelqu’un de la honte, ruine, déshonneur ou autre. Et puis ensuite… Pendant 600 pages, nous assisterons à des scènes de reconnaissance, des coïncidences inexplicables, des vengeances cruelles et des expiations douces (j’ai beaucoup aimé).

Mes genoux se plièrent, et dans cet élan d’adoration extatique j’entendis un mot : « Mon… » Et quand je collai instinctivement mes lèvres contre la main de cette femme, la phrase sortit entière de sa bouche : « Mon fils ! ». Ne me demandez pas d’expliquer ce que je ressentis alors. Les paroles d’aujourd’hui ne peuvent traduire le silence de cet instant. Ce fut un ravissement qui tue la parole, et récompense le sentiment avec des larmes. L’apparition imprévue d’une mère à son fils, qui sent pulser dans le sien un cœur dont il ignorait l’existence ; une telle surprise apporte avec elle une terreur sainte, celle de la préexistence de l’homme en présence de Dieu.

Vous l’aurez compris, on est dans le roman romanesque avec toutes les conventions que cela suppose. Les événements se succèdent et nous ne verrons pas grand-chose de Lisbonne, même si la guerre et le choléra retournent les hiérarchies sociales. La richesse du roman provient du fait qu’à tout moment un personnage secondaire peut devenir le héros d’une fantastique histoire d’adultère et de crime. Même si le lecteur finit par comprendre le procédé, il ne peut que se réjouir de voir une nouvelle pelote se dévider ou s’enrouler – tout cela est bien embrouillé.
 
T. Gudin, Trait de dévouemt du capitaine Desse, envers Le Colombus,1829, Bordeaux,
musée des beaux-arts, M&M. Vous êtes sensibles à la métaphore de la Fortune et du dévouement ?


Ce roman semble posséder deux facettes opposées. L’une est très catholique. Tous ces gens meurent les yeux rivés au ciel, pardonnent à ceux qui les ont offensés, se complaisent franchement dans le malheur, le sacrifice et l’expiation… mais à un point tel que l’on se demande si l’auteur n’est pas en train de se moquer d’eux et de nous. C’est que le roman est aussi très ironique. Ironique envers les hiérarchies sociales, la fierté des nobles, la médisance, la vieille société de caste. Ironique envers la littérature, la poésie romantique, le roman gothique et Balzac, qui sont autant des modèles savourés et honorés que de références dont on peut se moquer. De même, les méchants ne sont pas vraiment punis, les pirates ne se repentent pas de leurs crimes et les gentils sont un peu sots. Les grandes tirades exaltées amusent et agacent ; nous sommes sur un théâtre, une grande machine littéraire (on n’est pas si loin de Calvino, si on y réfléchit). Il est question de nombreuses histoires d’amour contrarié, ce qui donne lieu à une violente critique contre le mariage de convenance des familles nobles. À plusieurs reprises, il est clairement question de vendre une fille contre une dot, de l’acheter, de mettre les femmes en esclavage. Et la religion utilisée pour sanctifier de tels contrats en prend alors pour son grade.

Père Dinis était triste, de la tristesse éternelle du génie et de la vertu, en révolte contre l’ignorance et le crime. Cette aimable nature, qui alentour l’appelait à la paix, lui était un aiguillon de la plus profonde douleur. Le silence de la nuit rendait plus douloureux encore le tumulte qui, intérieurement, lui agitait le cœur. Son âme était un gouffre. Cet homme vivait depuis quinze ans en mourant à chaque instant. Au déclin de son existence, à cinquante et quelques années, il se sentait fort d’une vigueur providentielle, qu’il devait consumer en combats tourmentés.

Une langue efficace, mais quelquefois chargée. Les phrases boiteuses sont-elles à attribuer à l’écriture au kilomètre de l’auteur ? ou à la traduction trop lourde ?
J’ai des souvenirs fragmentaires, confus et merveilleux du film de Raúl Ruiz, que j’aimerais beaucoup revoir.

Destination PAL – la liste complète des lectures d’été.

L’avis de Dominique et de Miriam.


4 commentaires:

Lili Galipette a dit…

Le titre est un rappel/hommage au roman d'Eugène Sue ?

eeguab a dit…

Vrai que le film de Raoul Ruiz est très beau.

nathalie a dit…

Ça me semble évident, mais n'ayant pas lu Sue, je suis dans l'incapacité de comparer le contenu (même si je sais qu'il est aussi question d'enfant adultérin et de secret de famille de ce genre-là). En l'occurrence il est surtout question de Lamartine et de Balzac, et un peu d'Ann Radcliffe.

nathalie a dit…

Mes souvenirs en sont très lumineux en tout cas.