La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mercredi 5 juillet 2017

J’eux l’impression très nette de quitter l’Occident pour entrer dans le monde oriental.

Bram Stoker, Dracula, traduit de l’anglais par Lucienne Molitor, parution originale 1897.

Relecture pour le plaisir.
Le premier narrateur, Jonathan, est un jeune homme de loi anglais envoyé quelque part en Transylvanie chez un certain comte Dracula qui souhaite acquérir une maison en Angleterre. Les événements étranges et inquiétants se succèdent jusqu’à ce que son journal s’interrompe brutalement. Suite du récit en Angleterre avec Mina, sa fiancée, et Lucy, une amie, et le docteur Steward. Les témoignages se croisent un certain temps avant que l’on comprenne qu’il se passe quelque chose de particulièrement atroce.
Quelle bonne lecture ! Et quelle lecture sentant bon son époque !

Mais d’où vient donc le plaisir ? D’abord, paradoxalement, du fait que le lecteur en sait plus que les personnages. Voici en effet un roman affublé du syndrome Dr Jekill et Mr Hyde : même sans l’avoir lu, le lecteur sait tout et voit les erreurs des héros (« Mais non ! Faut pas faire ça ! Ah la la, les imbéciles ! »). Et puis, parce que le récit de Stoker est plein et entier. Dracula n’a rien de séduisant, on y risque vraiment son âme, les scènes de cimetière font vraiment peur, la nature ou le moindre animal familier devient une menace. Rien de tiédasse là-dedans.
Une réussite particulière pour le dispositif narratif, qui est quand même la vraie originalité du roman. Nous avons en effet une multitude de narrateurs qui tiennent leur journal sous diverses formes. Nous passons sans cesse de l’un à l’autre, de façon à ce que les points de vue se croisent, mais que le lecteur ait toujours un coup d’avance sur le groupe. Il y a surtout un entrecroisement subtil de dates et de coïncidences curieuses… En réalité, nous lisons le dossier Dracula constitué par toute une masse de papiers. Mais nous n’aurons jamais le point de vue de Dracula, qui est donc toujours décrit par des personnes extérieures, ce qui contribue à son mystère et à ce sentiment d’ubiquité, de puissance, qui se dégage de lui.

Sur ses traits était peinte une volupté à la fois émouvante et repoussante et, tandis qu’elle courbait le cou, elle se pourléchait réellement les babines comme un animal, à tel point que je pus voir à la clarté de la lune la salive scintiller sur les lèvres couleur de rubis et sur la langue rouge qui se promenait sur les dents blanches et pointues.

Couverture d'une édition anglaise de 1901. Wikipedia.
Et que c’est victorien ! À point tel que l’on ne sait pas par où commencer. Tout d’abord, les femmes. Mina a des ambitions professionnelles, prend des initiatives et démontre à plusieurs reprises son intelligence. Toutefois, les héros masculins tiennent absolument à la protéger de toutes ces horreurs en lui cachant leurs faits et gestes (de même que Lucy n’est pas mise au courant du danger qui rôde). Cela conduit à de nombreuses catastrophes dans le récit. Par ailleurs, les femmes vampires apparaissent étrangement sensuelles aux yeux des hommes qui semblent découvrir brutalement que leurs doux anges d’épouses et de fiancées possèdent peut-être aussi une autre face (#PointFantasmes).
Et les étrangers ? Ah ! entre l’Américain énergique et le Roumain superstitieux, les Tziganes et les Slovaques, difficile de ne pas comprendre que le vampire n’est pas de chez nous et qu’il vient corrompre Londres, autant dire la civilisation-même. De nombreuses scènes de transfusion sanguine (avec un léger souci scientifique) permettent ainsi de délirer totalement sur l’apport du sang viril dans les veines d’une jeune femme éthérée.
Ajoutons-y une belle hiérarchie des classes sociales. Et du catholicisme bien tourné.
Étrangement, je pense que ces défauts apparents expliquent la réussite du roman. Dracula n’est pas un vague méchant. C’est une incarnation du Mal, un double maléfique de la société anglaise, incarnation de ses croyances, de ses non-dits, de ses peurs… Le vampire, inquiétant et mystérieux, se situe aux confins du bon vieux surnaturel et de l’abîme ouvert par la psychanalyse. Il est inséparable de la civilisation victorienne.
Avec tout ça, la langue est quand même chargée et le lecteur, malgré tout son enthousiasme, sature un peu des tirades sur le courage et la grandeur d’âme.

Bientôt, nous fûmes entre deux rangées d’arbres qui, à certains endroits, formaient réellement une voûte au-dessus du chemin, si bien que nous avions l’impression de traverser un tunnel. Et, de nouveau, de part et d’autre, de grands rochers nous gardaient, sans rien perdre cependant de leur air menaçant. Abrités de la sorte, nous entendions toutefois le vent siffler et gémir entre ces rochers, et les branches des arbres d’agiter violemment.

Destination PAL – la liste complète des lectures d’été.





2 commentaires:

Lili Galipette a dit…

Un roman passionnant, mais donc l'écriture m'avait paru bien lourdingue par moment.

nathalie a dit…

Oui, il ne faut pas se le cacher, les péroraisons du professeur, pfiouuu...