La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 2 mars 2017

C'est vaincre et mourir qu'il fallait dire.

Anatole France, Les Dieux ont soif, 1912.

Un roman au cœur de la Terreur.

Nous sommes en 1793. Le héros est Évariste Gamelin, peintre, élève de David, totalement fauché, fervent révolutionnaire et admirateur de Robespierre. Autour de lui gravitent la belle Élodie, un marchand d'estampes, un ci-devant noble et quelques autres Parisiens, chacun entretenant un rapport différent avec la religion, la République et cette actualité brûlante. Évariste est bientôt nommé juré au Tribunal révolutionnaire, chargé de vider les prisons qui débordent. Passionné par la République, consciencieux, obsédé par la trahison et les complots, terrible et volontaire pour sacrifier son âme au salut collectif, il accomplit son devoir sanglant.

Le Tribunal révolutionnaire faisait triompher l'égalité en se montrant aussi sévère pour les portefaix et les servantes que pour les aristocrates et les financiers. Gamelin ne concevait point qu'il en pût être autrement sous un régime populaire. Il eût jugé méprisant, insolent pour le peuple, de l'exclure du supplice.

C'est une lecture agréable, même si l'intrigue manque un peu de relief. Les personnages sont assez réussis. Le contraste entre Élodie passionnée et Évariste qui manque singulièrement d'imagination ainsi que le traitement des différentes figures de la Révolution, dans toute leur diversité, est tout à fait saisissant. France joue en outre sur le duo amour et mort avec beaucoup d’énergie.
Le roman vaut surtout pour sa capacité à représenter l'atmosphère de la Terreur, pleine de rumeurs, de suspicion, avec un peuple virulent, affamé, lassé de tant de crimes. Il livre une vision effrayante de la Terreur rouge et de la France assiégée. Évariste apparaît comme un rouage pris à la fois malgré lui et à la fois conscient pour ce travail de bourreau, croyant pleinement dans les discours qu'il récite, alors que d'autres les manient avec plus de distance. Il devient de plus en plus fanatique et possédé par sa tâche, au point d'y inféoder le monde. On est après les premiers élans populaires et l'enthousiasme des débuts, les armées étrangères et vendéennes sont alors très proches de Paris, les premiers héros de la Révolution ont déjà succombé sous la guillotine et la lutte entre les Jacobins et les fédéralistes bat son plein. C'est une période de doute et d'angoisse pour tous les révolutionnaires.
Assiette illustrant la mort de Louis XVI, château de Vizille, M&M.

Évariste le sentait ardemment : ce qu'il fallait frapper en ce misérable, c'étaient les deux monstres affreux qui déchiraient la Patrie, la révolte et la défaite. Il s'agissait bien, vraiment, de savoir si ce militaire était innocent ou coupable.

Quant à la peinture, on ne voit pas travailler Évariste qui semble de toute façon manquer de feu poétique. Le roman fait parfaitement comprendre le changement esthétique qui intervient dans cette fin de XVIIIe siècle. La peinture de Boucher et de Watteau qui symbolise l'Ancien régime est rejetée, trop de perruques et de galanteries, alors même que les gens sont toujours demandeurs de paysages idylliques et de scènes champêtres. La grande peinture de David est alors en pleine gloire et les meubles aux lignes antiques sont très à la mode.
Parmi les figures historiques, se glissent Robespierre et Fouqué.

Les Français régénérés doivent répudier tous les legs de la servitude, le mauvais goût, la mauvaise forme, le mauvais dessin. Watteau, Boucher, Fragonard travaillaient pour des tyrans et pour des esclaves. Dans leurs ouvrages, nul sentiment du bon style ni de la ligne pure ; nulle part la nature ni la vérité. Des masques, des poupées, des chiffons, des singeries. La postérité méprisera leurs frivoles ouvrages.










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