La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 17 septembre 2012

Cependant, la conscience de mieux valoir que ces hommes atténuait la fatigue de les regarder.


Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale, 1869.

J’ai relu (re-relu plutôt) L’Éducation sentimentale. Le fil du récit est connu : le héros, Frédéric Moreau, est un fils de famille à Paris. Il tombe amoureux de Mme Arnoux, qu’il considère comme inaccessible. Homme de peu de caractère, il passe sa vie en projets sans rien réellement vivre, traversant sans les voir la révolution de 1848 et la IIe République.
Il lui envoya un regard où il avait tâché de mettre toute son âme ; comme s’il n’eût rien fait, elle demeura immobile.

J’en avais gardé des souvenirs confus. Je me souvenais très bien d’une promenade avec Rosanette dans la forêt de Fontainebleau et j’ai retrouvé avec plaisir ces pages, évocations de la nature, souvenirs d’heures heureuses. D’ailleurs j’aime plutôt bien Rosanette, tant méprisée par Frédéric. Quant aux événements politiques, j’avais un souvenir brouillon et confus, cela persiste même si ma compréhension historique s’est améliorée.
Le personnage principal n’a rien de très attachant et le lecteur est pris dans l’ennui de sa vie. Il n’y a pas d’éducation, son caractère semble tracé dès le début. C’est à double tranchant. On sait que Flaubert voulait faire un livre sur rien et il a réussi, au point où l’on peut se demander à quoi bon continuer sa lecture (ce roman est d’un tel vide !) si ce n’est pour tomber enfin sur ces magnifiques phrases :
Il voyagea.
Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l’étourdissement des paysages et des ruines, l’amertume des sympathies interrompues.
Il revint.

Les imparfaits de l’indicatif peuvent faire bailler mais un charme un peu envoûtant se dégage de ce roman, en partie parce qu’il contient plein d’airs connus : « Leurs yeux se rencontrèrent », « la tête de veau », « C’est là ce que nous avons eu de meilleur ! »… je vais appeler ça le syndrome Flûte enchantée, ce plaisir pris à reconnaître des morceaux connus.

En revanche, j’avais un souvenir totalement inexact de l’évolution de la relation entre Frédéric et Mme Arnoux, je l’avais figée et m’étais imaginée que Mme Arnoux ne s’apercevait même pas de l’amour de Frédéric. Je ne sais pas pourquoi mais en réalité la dame est bien plus sensible.


Capellaro, Flaubert, 1895,
château de Versailles, image RMN.

La véritable héroïne est bien évidemment la langue française. Mots rares et précis, phrases banales et idées reçues, rythme de phrase étudié comme une mécanique. Les personnages ont des sentiments convenus mais tout est exprimé de façon unique – à la Flaubert.
On peut se moquer d’eux mais chacun peut se reconnaître dans cette banalité et souffrir de cette moquerie – est-ce que l’on n’a pas, chacun, en soi du Frédéric Moreau ? L’ironie de Flaubert investit chaque mot et virgule, égratigne héros, ouvriers et aristocrates, bourgeois et cocotte, lecteur et écrivain.
Petite note : le motif du portrait de l’enfant mort sera repris par Zola dans L’œuvre.

Il s’était arrêté au milieu du Pont-Neuf, et, tête nue, poitrine ouverte, il aspirait l’air. Cependant, il sentait monter du fond de lui-même quelque chose d’intarrissable, un afflux de tendresse qui l’énervait, comme le mouvement des ondes sous ses yeux. À l’horloge d’une église, une heure sonna, lentement, pareille à une voix qui l’eût appelé.
Alors, il fut saisi par un de ces frissons de l’âme où il vous semble qu’on est transporté dans un monde supérieur. Une faculté extraordinaire, dont il ne savait pas l’objet, lui était venue.

Mon billet sur Madame Bovary. L'avis de Jimmy qui, lui, a trouvé Frédéric "attachant".


5 commentaires:

Marie a dit…

Je l'ai lu quand j'étais au lycée. Je me souviens que ça m'avait pris 3 mois et que j'avais l'impression que je n'en verrais jamais le bout...
Je me dis qu'il faudrait que je réessaye Flaubert, mais je ne m'en sens pas trop le courage.

nathalie a dit…

Alors que moi je suis en pleine vague flaubertienne... un bonheur !

grillon a dit…

J'aime beaucoup L'Education sentimentale, c'est mon préféré de Flaubert. C'est, à mon très personnel avis, du Modiano, et j'adore Modiano ! Et puis on y retrouve tant de Proust aussi ...

Asphodèle a dit…

Tu me donnerais presque envie de le relire mais pas trop envie en ce moment ! Je suis davantage tentée par Zola mais qui sait ? Tout arrive, tout revient et une belle écriture fait du bien parfois...

nathalie a dit…

Grillon : je me doutais un peu que tu aimais Flaubert et notamment celui-ci. Mais je ne connais pas encore Modiano, malheureusement.
Aspho : Zola attendra que j'ai lu tout Balzac - il n'est pas pressé.