La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



vendredi 30 septembre 2016

Je vais étouffer, il faut que je raconte !

Krimi. Une anthologie du récit policier sous le troisième Reich, textes choisis, présentés et traduits de l’allemand par Vincent Platini, édité en 2014 par Anacharsis.

Ce volume rassemble des nouvelles et de courts romans policiers, de divers auteurs, tous parus en Allemagne sous le régime hitlérien. C’est une lecture très intéressante. Certaines histoires valent pour elles-mêmes et sont très prenantes. Mais bien sûr les commentaires de Vincent Platini éclairent leur lecture et soulignent des points particuliers, des allusions, des contraintes. Le roman policier se situe à des distances très variables du pouvoir en place, mais également des modèles anglais ou américains. Faut-il camper son roman à l'étranger, car de tels crimes ne sauraient se produire dans la belle Allemagne du Reich ? Ou au contraire faut-il un roman allemand mettant en valeur cette belle police ? Le genre policier est un roman de pur divertissement, voire considéré comme immoral et dangereux, ce qui n’empêche pas le contexte de s’inscrire dans l'écriture ou d’apparaître via des allusions étudiées.
Ce volume permet également de mettre en avant le travail des historiens et l'étude de l'histoire longue du roman policier. Cette histoire longue se penche sur le contexte d'écriture et de publication, sur les enjeux politiques et commerciaux, sur les maisons d’édition et leur aryanisation, sur les auteurs qui peuvent être de fidèles soutiens du régime, des juifs ou des résistants de l’intérieur.
Une curiosité très enrichissante à lire !

T'veux une cigarette ? Demanda-t-il brusquement en tendant un paquet souple à Joachim.
- Hein ? Dit-il surpris, des vraies cigarettes ? D'où tu les tiens ?
- Sûrement pas achetées ! Les bonnes choses, ça se trouve plus en magasin...
 
Otto Dix, Le Vendeur d'allumettes, 1920, Stuttgart Staatsgalerie, RMN.
Quelques titres :
Hans Joachim Freiherr von Reitzenstein, Schwenke, simple brigadier, écrit en 1932. Le héros est ici un brave brigadier, plein de bon sens, faisant régner la tranquillité dans sa ville.
Michael Zwick, Une mauvaise conscience tranquille, 1934. Un texte très ironique sur le thème de la confession et de l’aveu.
Paul Pitt, Fatal héritage, 1937. On a ici deux héros récurrents, John Kling et Jones Burthe, et une série de plusieurs centaines de livres. Ce roman traduit une étonnante ambiguïté vis-à-vis du roman policier américain des années 30, modèle et repoussoir. On a ici une imitation presque caricaturale avec argot américain hyper abondant et traduit pour le néophyte, avec un culte de la voiture et de la machine et beaucoup de violence. Finalement le régime nazi a fini par lâcher cette série trop américaine et sulfureuse.
Adam Kuckhoff, Sortie de scène, 1938. L’auteur fut un résistant allemand, arrêté et condamné à mort. Cette nouvelle prend place dans le monde du théâtre, avec un comédien génial et fou à la fois.
C. V. Rock, Meurtre à cinq sous, 1940. Tout l’ambivalence de la littérature populaire ! Un jeune homme rêve d'aventures et d'une vie haute en couleur et subit de mauvaises influences. Mais bien sûr, le criminel apparaît un peu comme  un minable et promis à une existence au ras de terre, alors que la police toute puissante ne laisse aucun crime impuni.
Edmund Finke, Dix alibis irréprochables, 1941. Une nouvelle qui met la lumière sur un duo d'enquêteurs plein d'habileté face à un mystère. Bien sûr, rien n’échappe à la puissance d’esprit de la police allemande. C’est un texte tout à fait réussi.
Zinn, L'Annexe 27, 1944. Sans conteste la meilleure pièce du recueil. Cette sombre histoire de lettres anonymes m'a tenue accrochée toute une journée. On est dans un roman à la gloire de la police allemande, bien équipée, scientifique, compétente, etc. et qui protège les habitants. Cela n'empêche pas l'humour ni les rebondissements car nous sommes dans une littérature de divertissement. Les notes nous apprennent que cette collection a été soutenue par le régime : en pleine guerre l'écrivain sera payé et il échappera aux restrictions de papiers.
Adam Kuckhoff et John Sieg, Lettre ouverte au front de l'Est, 1941-42. C’est une feuille anonyme dénonçant les atrocités commises par la police sur le front de l'est.




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