La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 9 mai 2016

La réalité tue, la fiction sauve.

 Javier Cercas, L’Imposteur, traduit de l’espagnol par Élisabeth Beyer et Aleksandar Grujičić, parution originale 2014.

Un roman fascinant.

Enric Marco s’est construit une identité de résistant au franquisme, de leader anarchisme et de survivant des camps de concentration, jusqu’à présider l’Amicale de Mauthausen. Pourtant en juin 2005 un historien prouve que tout est faux. Et cette histoire est vraie.
Le livre suit donc deux fils qui se rejoignent progressivement : l’un raconte la vie réelle, supposée, reconstituée ou prétendue de Marco et l’autre les interrogations de Cercas sur sa tâche. Le livre est passionnant, car on suit le parcours de Marco dans les méandres de l’histoire. C’est une biographie pleine de rebondissements, de l’asile à un garage, pour finir sous les feux des projecteurs. L’homme a visiblement impressionné l’écrivain qui hésite de plus en plus à le juger. Plus intéressant, Cercas essaie de comprendre pour quelles raisons une telle supercherie a été possible. Pour lui il est évident que Marco a répondu aux attentes de ses contemporains en lui offrant un discours acceptable et audible – plus facile à appréhender que celui des vrais déportés.

Et la vérité ? La vérité, c’est que, d’après ce que j’ai découvert à mesure que j’enlevais des couches d’oignon de la biographie de Marco, ce ramassis de mensonges a naturellement été pétri avec des vérités.

Bien sûr, c’est un sujet parfait pour cet auteur qui ne cesse d’écrire sur le vrai, le faux, les erreurs et reconstitutions de la mémoire, la trahison et la fidélité, qui se plaît à interroger en miroir ces notions, au point de renverser les mêmes phrases dans un tout autre sens. D’ailleurs, j’ai quelquefois eu la sensation d’un véritable procédé un peu facile dans certains cas – j’espère que son prochain livre sera un peu différent (certaines répétitions m’ont franchement paru maladroites). Si Anatomie d’un instant me paraît plus fort, parce qu’il porte sur un moment extrême de la démocratie espagnole, son propos était davantage dilué et avait fini par me lasser. Ici, le discours est un peu plus concis et surtout nous parcourons toute l’histoire de l’Espagne du XXe siècle, du point de vue des héros, mais aussi et surtout de la masse anonyme qui a subi et suivi. Ce roman sans fiction étudie ainsi le rapport que l’Espagne entretient avec son propre passé, fait d’oubli, de réécriture, d’instrumentalisation et de commerce.

Personne ne prenait Don Quichotte au sérieux, il ne trompait personne ; en revanche, Marco a trompé tout le monde. Il a fini par lever les yeux de son assiette et regarder ma femme. Tu te rends compte ? Tout le monde ! Puis il s’est tourné vers moi avec un éclat d’enthousiasme dans les yeux, il m’a pointé avec sa fourchette et il a fini par dire : Putain, il est génial, ce type !

8 commentaires:

Sandrine a dit…

Un beau travail que ce livre en effet et une belle réflexion sur la fiction. Cette couverture espagnole est très réussie.

nathalie a dit…

C'est vrai que la couverture d'Actes Sud est bien fadasse à côté.

eimelle a dit…

très intéressant comme réflexion!

nathalie a dit…

Oui, c'est un cas extrême.

Alex Mot-à-Mots a dit…

Un roman sans fiction ? Etrange.

nathalie a dit…

Les faits relatés sont vrais, mais la vie de Marco est entièrement une fiction, un roman, un mensonge... on est dans le paradoxe complet.

Sharon a dit…

Effectivement, un véritable paradoxe que la vie de cet homme.
Merci pour ta participation.

nathalie a dit…

Une véritable étrangeté.