La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 5 novembre 2015

Mais vous autres, vous n’êtes pas des personnages de livre.

Thomas Pynchon, Contre-jour, traduit de l’américain par Claro, parution originale 2006.

Un roman de Pynchon comme un hymne au délire.

Au départ, le dirigeable des Casse-Cou (une bande de jeunes gens et un chien) se rend à l’exposition universelle de Chicago en 1893. Ils mènent apparemment une vie d’aventures, comme dans les romans, sans réellement vieillir. Ils rencontrent un détective privé et un photographe et sa fille. Avec les Casse-Cou, nous tenons le fil scientifique, moderniste et aventurier, qui nous emmènera au Pôle Nord, en Asie, mais aussi à Venise, lors d’une scène mémorable où le Campanile s’écroule.
Parallèlement, nous suivons la famille Traverse. Le père Webb, dynamiteur anarchiste, en guerre contre les propriétaires, ses fils et sa fille. C’est le fil politique du livre, celui qui raconte la guerre éternelle entre les états et les riches d’une part et les ouvriers d’autre part, lutte ponctuée d’attentats, de crimes, de bombes, de trahisons. Avec les Traverse, nous parcourons les Etats-Unis, le Mexique en guerre, mais aussi les Balkans et toujours Venise.
Tous ces fils se croisent et s’embrouillent, sinon ce n’est pas drôle. Comme dans tous les romans de Pynchon, espionnage et complot, double vie et personnages doubles sont légion. Venise possède une jumelle, une ville cachée et inaccessible, une ville enfouie sous les sables. C’est le sens de ce Contre-jour : dans certaines situations, la lumière se difracte et révèle un autre monde qui évolue à côté de l’autre monde bien connu. Certains personnages parviennent ainsi brusquement à chambouler la lumière.

Malgré l’ombre d’un tressaillement imminent, elle le surprit par un sourire qui, en dépit de sa ressemblance avec ceux qu’on adresse aux malades, parvint néanmoins à changer en pierre certaines extrémités de Kit. Pour dire le genre de sourire que c’était.

H. Stovhase, Dirigeable en vol de nuit, 1900-1910, Florence Fratelli Alinari, RMN
Quand j’ai acheté ce livre à sa sortie en France, j’ai mis un mois et demi à le lire (1 200 pages bien serrées). J’ai tenu à le relire, quelques pages chaque soir pendant six mois, pour vous en parler. Je dois dire que je suis très satisfaite de ma relecture. J’ai davantage apprécié les allusions (à des livres, des musiques) et le jeu de construction. J’ai davantage vu que le roman raconte aussi la fin d’un monde, celui des guerres anciennes, et la montée en puissance des violences sociales et guerrières du XXe siècle, qui peuvent conduire à l’anéantissement de l’individu ou du globe. C’est en outre le moment où les occidentaux découvrent la montée en puissance militaire du Japon. Par-dessus tout cela, surnage la quête du bonheur, le besoin de douceur, la nécessité pour une famille de se réconcilier et pour un couple de se retrouver. Cela s’opère au moyen du sexe ou d’une machine de science-fiction, mais Pynchon raconte aussi cette tendresse qui mène les personnages.

Le roman traduit la fascination de l’époque pour le progrès technique qui ne connaît pas de limite (photographie, trains, avions, armes, explosifs, drogues chimiques). Les limites de la science et du possible ne sont pas clairement définies, on peut certainement communiquer avec les morts, voyager dans le temps ou traverser la Terre comme un nuage. Tout cela se marie avec les habitudes du roman d’aventures et d’exploration, puisque il existe encore des villes sous le sable à découvrir ou à imaginer.

Car la lumière du soleil était dotée de la même obscurité intérieure que le crépuscule liquide de la nuit précédente – c’était comme de traverser une négatif photographique omniprésent –, la plaine presque silencieuse hormis le chant des parulines des ruisseaux, les prés fauchés, l’odeur du houblon séchant dans les fous, le lin arraché, entassé en liasses et mis à tremper jusqu’au printemps, les canaux brillants, les écluses, les digues et chemins de halage, les vaches laitières sous les arbres, les nuages détourés et paisibles. Argent terni.

(Les parulines sont de petits oiseaux).


L’avis de Jimmy.

Les autres romans de Pynchon sur le blog :
V.
Vineland

3 commentaires:

keisha a dit…

Oh je suis absolument ravie de découvrir une fan de Pynchon (mieux vaut tard que jamais) Après Vente à la criée du Lot 49 je susi tombée dans la marmite et ai Rainbow qui m'attend. Il m'en reste plein à lire dont ce Contre jour mais il faut s'y plonger!

nathalie a dit…

Contre-jour est le premier que j'ai lu. Le problème étant que je me sens obligée de lire deux fois ses romans avant d'en parler sur le blog, donc cela ne va pas très bite, forcément ! D'ailleurs, il faut que je relise Vente à la criée, avant d'attaquer le dernier paru en France.

keisha a dit…

Les bras m'en tombent aussi à chaque fois que j'espère écrire un billet décent, mais si on n'en parle pas, ce serait dommage.