La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 7 juillet 2015

Entre eux, les maladies circulent aussi librement que les cochons dans le jardin.

James Agee, Une saison de coton, photographies de Walker Evans, traduit de l’américain par Hélène Borraz, texte écrit en 1936, publié pour la 1e fois en 2013, publié en France chez Christian Bourgois.

Ce n’est pas un roman, c’est la dure et simple vérité – devant laquelle on reste silencieux. Pendant la grande dépression, Agee se rend dans l’Alabama, chargé par le magazine Fortune de réaliser un reportage sur la situation des métayers du coton. L’article ne fut pas publié.

L’auteur nous parle de trois familles à la situation proche, mais pas semblable. Il décrit la situation de la culture du coton où des propriétaires louent des terres et avancent de l’argent (avec intérêt) à des métayers qui vivent dans la plus grande pauvreté. Le ton est très technique, car Agee donne les termes du contrat, le menu de chaque repas, décrit les vêtements, mais dresse aussi le constat d’êtres humains totalement coupés du monde. Beaucoup d’adultes ne savent ni lire ni écrire, tout le monde dort dans la même pièce, on va pieds nus, on n’a pas les moyens d’élever un cochon toute une année. La multitude de petits faits dresse un portrait aride et brutal. Agee ne semble ni s’apitoyer ni dénoncer, ne cachant ni les bontés ni les cruautés, décortiquant soigneusement les arcanes du système entre les propriétaires, l’argent de l’État fédéral, les idéaux nobles et à côté de la plaque et la ségrégation.
 
W. Evans, Floyd et Lucille Burroughs sous le porche,
1936, New York, Metropolitan, RMN.
 Il parle vite et sans arrêt tandis que vous descendez les escaliers en courant pour éviter de tomber ; répète les choses en moyenne trois fois ; et fait pas le mal le clown comme le font les gens sensibles et nerveux afin de se protéger tout en s’infligeant du mal. Le regard est fuyant et parfois fou et jamais tout à fait rusé : celui d’un renard craintif croisé de chien de chasse.


Cette lecture met mal à l’aise et triture la conscience. Tout est cruellement vrai. Si les photographies de Walker Evans sont devenues célèbres et possèdent une réelle beauté, documentant avec sobriété et dignité, l’article n’a jamais été publié et est tombé dans l’oubli, loin de toute esthétisation. Cet homme si beau sur la photo peut se révéler couvert de vermine et l’esprit un peu lent. Ces robes toutes simples sont taillées dans les sacs qui servent à contenir la farine. On vit au rythme du soleil malgré la présence d’un réveille-matin. Cette femme aux lèvres serrées n’a plus de dents.
À lire, c’est bouleversant.

L’avis de Jérôme. Challenge Destination PAL - la liste de lecture.
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8 commentaires:

Anonyme a dit…

Ça semble être un documentaire de premier ordre sur l'époque, les hommes, les conditions de vie, de survie...

nathalie a dit…

C'est tout à fait ça, je pense que cela t'intéresserait.

Eeguab a dit…

Je connais l'auteur,scénariste de La nuit du chasseur et j'ai lu son roman Une mort dans la famille. Je connais aussi un peu les photos de Walker Evans. Passionnant.

nathalie a dit…

Je ne savais pas qu'il avait fait le scénario de La Nuit du chasseur. Gage de qualité en effet !

Syl. a dit…

C'est rude ! la photo est belle, elle se raconte toute seule.

nathalie a dit…

Les photos d'Evans sont magnifiques en effet.

Ingannmic, a dit…

Très Faulknerien, ce cliché qui illustre ton article ! Cela fait envie malgré le thème difficile. Ce livre a l'air d'être un bel objet, en plus d'être un témoignage touchant..

nathalie a dit…

Evans accompagnait Agee et a fait tout un reportage. Cette photo n'est pas dans le livre, mais fait partie de la série, elle montre une des trois familles présentées par Agee.
Je ne parlerai plus de reportage que de témoignage, mais c'est peut-être affaire de sensibilité.