La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 7 avril 2015

L’or pousse comme des plantes dans le sable, comme poussent les carottes.

François-Xavier Fauvelle, Le Rhinocéros d’or. Histoires du Moyen Âge africain, 2013.

Formidable livre d’histoire à conseiller à tout le monde, il nous fait découvrir un monde, rend humble toute notre science, nous ouvre l’esprit.

Par une suite de petits chapitres très courts, l’auteur nous livre des aperçus de l’histoire du continent africain, entre le VIIIe et le XVe siècles. L’introduction présente le projet, justifie le terme de « Moyen Âge » et nous lance.
L’auteur part souvent d’un document : une archive écrite, une stèle, un témoignage qui semble farfelu, un site archéologique mal fouillé par les colonisateurs, une carte. Même si ces documents sont lacunaires ou impossibles à vérifier, leur analyse permet d’apprendre quelques faits. L’histoire du document permet surtout de poser des questions stimulantes qui ouvrent une immensité de réflexions.
Le livre fait la part belle aux marchands musulmans et au commerce caravanier qui traverse le Sahara et fait le lien entre la Méditerranée et le pays mystérieux des hommes noirs. L’Islam n’est pas seulement la religion des élites, c’est aussi un code juridique et donc des règles commerciales, ce qui en fait tout son attrait. Le statut de dhimmi accordé aux non musulmans permet le commerce et rassure les acteurs venus de partout. L’or, le cuivre, les perles, l’ivoire, les porcelaines, le sel, les esclaves, les eunuques sont autant de biens échangés.
Silbert, Le Montreur de aras, Musée des beaux-arts de Marseille, M&M

Le premier chapitre souligne que les objets chinois (notamment la porcelaine) sont courants sur le continent africain à une époque très ancienne. Notant la quasi-absence de contacts directs entre les deux mondes, il faut en conclure à la super efficacité des réseaux intermédiaires qui parcourent l’Océan Indien et que les Occidentaux sont tentés de sous-estimer – tout n’a pas commencé avec le contournement de l’Afrique par Vasco de Gama. De l’absence de sources ou de sources qui ne concordent pas, on peut tirer des conclusions intéressantes à condition de les regarder d’un œil neuf.
Le livre parcourt l’Éthiopie, le Zimbabwe, le Sahel, la Corne de l’Afrique et même Madagascar dont la confusion avec Mogadiscio révèle bien des choses. Que font des monnaies de Bactriane (région au croisement de l’Inde et de l’Afghanistan) en Érythrée ? Pour répondre, encore faut-il savoir analyser les trésors de monnaie qui sont des sources paradoxales. Nous nous rendons à Sijilmâsa, cité centrale du commerce caravanier, parcourue par des marchands en quête d’informations (mais d’où vient ce mystérieux or ?) mais auxquels on ne répond jamais (les Berbères ne sont pas fous).

Bompard, La Fileuse, Musée des beaux-arts de Marseille, M&M
La suite de chapitres très courts se lit facilement, sans fatigue. Le ton est savant et plein d’humour et d’affection pour les personnages qui permettent à l’historien de travailler.

Mon chapitre préféré est consacré à Ma‘aden Ijâfen, un site archéologique minuscule en plein Sahara, que Théodore Monod atteint après 10 jours de caravane (sans GPS) sur la foi du témoignage d’un chasseur d’antilope. Au XIIe ou au XIIIe siècle, des hommes ont y abandonné du métal destiné à des bijoutiers ou des armuriers et des coquillages des Maldives. Monod prend quelques photos (on est à l’argentique) et repart pour 10 jours de caravane en dromadaire, emmenant quelques objets pour analyse. Le site n’a jamais été retrouvé, avalé par le désert.

Exemple de document remarquable : une lettre de 1447 adressée à un négociant génois, représentant à Majorque d’une maison de commerce génoise. Elle est en latin. Elle provient de l’oasis de Touat (Centre Ouest algérien). L’auteur aussi est génois.

Si nul ne s’étonne de voir les Portugais faire irruption depuis le sud, c’est sans doute d’abord parce que nul dans ces eaux n’a de raison de savoir ce qu’est le Portugal, microscopique royaume de l’extrême Occident chrétien aussi éloigné de ces rivages que l’est le Japon à l’extrême Orient. Nul n’a de raison non plus de savoir que ce royaume envoie une insignifiante flottille à l’assaut de son monde, ni qu’elle entend le faire en contournant l’Afrique, ni du reste que l’Afrique est susceptible d’être contournée. D’ailleurs, les Portugais ne se disent pas portugais, mais chrétiens. C’est en tant que tels qu’ils entament la remontée des côtes africaines vers le nord, en quête d’épices et d’or, d’un pilote qui les conduira en Inde, et d’autres chrétiens s’il en existe dans ces parages.

2 commentaires:

catherine a dit…

Ca me fait vraiment envie de lire ce livre et l'autre aussi.

nathalie a dit…

Je pourrais t'amener le Rhinocéros, il se lit très bien !