La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 4 décembre 2014

À quoi peut bien servir un livre sans images ni dialogues ?

Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles et À travers le miroir, 1865 et 1871, traduit de l’anglais par Henri Parisot.

Je viens de relire ces deux romans, dont je gardais un souvenir confus et pas forcément enchanté.

Alice au pays des merveilles relate le voyage le plus connu d’Alice au pays du Lapin blanc, du dodo, du Lièvre de Mars et du Chapelier, de la Reine rouge qui coupe la tête à tout le monde et des soldats en carte à jouer. Notons que pendant ce temps Alice rapetisse et grandit, rapetisse et grandit… Elle suit un chemin et arrive à une maison, puis un autre chemin et arrive à ailleurs, cela m’a vaguement rappelé les romans de Chrétien de Troyes où le chevalier va d’aventure en aventure en suivant le sentier dans la forêt. Il est vrai que les rencontres d’Alice sont peu ordinaires et franchement remarquables. J’ai aimé toutes ces créatures au babil totalement inconsistant, mais plein d’esprit et d’humour, alors qu’Alice m’a plutôt tapé sur les nerfs (le côté jeune fille modèle sans doute). Je reconnais que ce dernier sentiment n’est pas entièrement justifié, vu qu’Alice se montre souvent maligne, voire inquiétante, avec ses interlocuteurs.

Nounou, faisons semblant d’être, moi une hyène affamée, et vous un os !

Dans À travers le miroir, Alice passe de l’autre côté du grand miroir suspendu au-dessus de la cheminée et découvre un monde où tout se passe à l’envers (où l’on distribue les parts de gâteau avant de les découper). Elle y joue une gigantesque partie d’échecs dans un paysage parcouru par des cavaliers, des reines, Humpty Dumpty, etc. Certaines rencontres sont particulièrement réussies, mais le récit manque un peu de suivi à mon goût.


Les deux textes font la part belle aux chansons et aux comptines qui, je le suppose, ancrent le récit dans la culture populaire anglaise (un peu comme dans Entre les actes de Virginia Woolf). Mais bien évidemment ce qui compte ce sont les jeux de mots, l’absurdité du langage et le plaisir du renversement de sens. Certains interlocuteurs d’Alice sont particulièrement brillants sur ce plan ! Toute cette poésie peut aussi apparaître plutôt inquiétante, je dois dire. On se rend compte également que toutes les allusions nécessiteraient une bonne relecture pour saisir toutes les subtilités de la chose. Cet univers ne connaît aucune limite rationnelle et campe un nonsense vraiment original et audacieux.


« Lorsque moi j’emploie un mot, répliqua Humpty Dumpty d’un ton de voix quelque peu dédaigneux, il signifie exactement ce qu’il me plaît qu’il signifie… ni plus, ni moins. »

Mon récent séjour à Oxford m’a donné envie de relire Alice. Lewis Carroll était professeur de mathématiques à Christ Church et Alice était la fille du doyen. Une boutique permet d’acheter du chocolat qui fait changer de taille et plein d’autres choses. 
En photographie : les vitraux du réfectoire de Christ Church avec les personnages d’Alice (samedi billet consacré à ce college).

Le Professeur de Larcin était un vieux congre qui venait une fois par semaine. Lui, il nous enseignait la technique du Larcin, ainsi qu’à Escroquer d’après nature et à Feindre à la Presque. »
« Qu’est-ce que c’est que Feindre à la Presque ? » demanda Alice.
« Ma foi, je ne saurais vous en faire moi-même la démonstration, répondit la Tortue « fantaisie », car je ne simule pas assez bien pour cela.

10 commentaires:

Estelle a dit…

Avis aux hellénistes distingués (et aux autres) qui s'esquintent la vue sur le dico grec-anglais Liddell-Scott : Liddell était le papa d'Alice...

nathalie a dit…

Exact ! La fine fleur de l'intelligence était là !

ann.rct@laposte.net a dit…

Je ne sais pourquoi mais je ne supporte pas cette histoire qui est un immense classique. Alice me paraît d'une bêtise qui me fait sortir de mes gonds. mais bon, chut, je n'ai rien dit.

nathalie a dit…

Je comprends tout à fait ! Je pense d'ailleurs que j'étais comme ça lors de ma 1e lecture. Maintenant, je sépare mieux Alice (qui effectivement me tape sur les nerfs) du bestiaire fantastique et de l'humour de la langue. En revanche, je trouve que ça manque de construction narrative.

Alex Mot-à-Mots a dit…

Je n'ai pas le souvenir d'une lecture enchantée non plus.

nathalie a dit…

L'image enchantée provient beaucoup de Disney, le livre est plus sérieux.

Le Salon des Lettres a dit…

Je dois encore lire "De l'autre côté du miroir", j'ai hâte !

nathalie a dit…

Un peu moins construit du point de vue de la narration, mais la réflexion sur la langue va plus loin. À tester.

Miss Alfie a dit…

Mon beau-père et mon homme m'ont fait découvrir ce week-end une adaptation du conte par Oxmo Puccimo et Ibrahim Maalouf en musique. Du coup, j'ai bien envie de me replonger dans le conte... Mais pas dans la version adaptée pour enfants que j'ai à la maison !

nathalie a dit…

Les adaptations sont sûrement plus agréables et ludiques que la vraie version, qui est assez ardue. Ça vaut le coup de le relire à plusieurs reprises je pense.