La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 28 août 2014

La longue nuit semblait avoir commencé ; les petits airs grignoteurs, murmurés par le vent, les souffles visqueux et tâtonnants paraissaient avoir triomphé.

Virginia Woolf, La Promenade au phare, traduit de l’anglais par Lanoire, parution originale 1927.

Une maison au bord de la mer, avec une famille nombreuse et des invités, dans une Angleterre un peu ancienne, mais pas trop. Ils rayonnent tous autour de la mère, Mrs Ramsay, si belle, si attentive à donner aux autres ce qu’ils demandent et ce dont ils ont besoin, comme si les sensations des uns et des autres la traversaient. Face à eux, une vieille maison qui craque, la mer et un phare, but d’une promenade qui se fera… peut-être. C’est un monde de lumière, d’odeurs et de couleurs – il y a une peintre parmi les invités qui recherche l’équilibre d’une vision.

Elle voyait tout avec une irrésistible netteté lorsqu’elle regardait : c’est lorsqu’elle prit son pinceau que tout changea. Dans cet instant de fuite, inséré entre sa peinture et sa toile, elle subit un assaut de ces démons qui faisaient souvent monter les larmes à ses yeux et rendaient ce passage de la conception à l’exécution aussi terrible que peut l’être pour un enfant celui d’un couloir ténébreux.

Bord de mer. M&M.
Le fil narratif est des plus minces : une soirée à parler de la promenade au phare et des années plus tard le souvenir de ce moment et de Mrs Ramsay. C’est une plongée au cœur des émotions et de ce qui fait le vide et le plein des relations humaines, ainsi qu’une exploration des souvenirs.
Mrs Ramsay fait indubitablement songer à Mrs Dalloway, dont elle pourrait être la sœur. Mais elle est une sorte d’élément solaire qui se pose à côté des autres et qui est une éponge imbibée des émotions des autres. Elle ressent ainsi violemment le silence qui se fait en soi quand les autres s’en vont.

Avec un mouvement qui, chose étrange, rappela à celle-ci le grand morse du Jardin zoologique lorsqu’il bat lourdement en retraite après avoir avalé ses poissons et barbotte avec tant d’énergie que l’eau de son bassin bascule d’un côté à l’autre, il plongea dans l’air du soir qui, déjà moins nourri, empruntait leur substance aux feuilles et aux haies, mais, comme en échange, rendait aux roses et aux œillets un éclat dont ils avaient été privés pendant le jour.

La nuit était maintenant tenue à l’écart par les vitres et celles-ci, au lieu de donner une vue exacte du monde extérieur, le gondolaient d’étrange façon, au point que l’ordre, la fixité, la terre ferme semblaient s’être installés à l’intérieur de la maison ; au-dehors, au contraire, il n’y avait plus qu’un reflet dans lequel les choses, devenues fluides, tremblaient et disparaissaient.

Sous la pression du besoin particulier qui vous fait parler à un moment déterminé on manque toujours le but essentiel. Les mots dans leur agitation perdent leur direction et s’en vont frapper le but beaucoup trop bas.

Un livre dont il est difficile de parler et que je compte relire dans quelques années.


2 commentaires:

Dominique a dit…

une de mes préférences chez V W avec Mrs Dalloway

nathalie a dit…

J'adore Mrs Dalloway, je l'ai lu 2 fois ! Là, je l'ai trouvé plus ardu mais tout aussi beau.