La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 14 novembre 2013

Elle aspirait le jus jaillissant et elle rejetait les peaux vides, et ainsi tant que la grappe avait un grain.


Jean Giono, Le Noyau d’abricot et autres contes, recueil publié en 2011 par Grasset.

Ce tout petit livre rassemble des contes à couleur orientale que Giono a publiés vers 1925, avant ses grands romans. Ce sont des petites choses, comme des cerises ou des fruits d’été, des délices.
Il y a des princesses, des génies, de la magie, des jardins de rose et des esclaves dans un Orient rêvé, fantasmé. Un Orient où les épithètes grecques abondent, où l’anis et l’olivier sont des plantes légendaires, où une ville ressemble à Marseille… Un Orient de Provence et nourri de culture humaniste. C’est toute la formation littéraire de Giono qui apparaît dans ces contes : un autodidacte qui conte.

Au bas de la collinette, deux bouleaux des monts de la lune marquaient de leur scintillement les pointes extrêmes d’un marais. Il se dissimulait, sournois, sous une floraison de nénuphars et d’iris flambe-d’eau. On apercevait entre les hampes vertes des fleurs sa peau hérissée de pustules blanchâtres et sur laquelle se recourbaient en volutes de phosphorescentes traînées de purulence.

Giono a le goût des mots rares et sonores. Tout est vivant, plein d’élégance, de sensualité et de désir. Il y a une très bonne introduction de Mireille Sacotte qui explique la façon de travailler de Giono et sa formation. 

Brassaï, Jean Giono à Manosque, 1967
Collection particulière, image RMN
En extra, un conte en forme d’autoportrait.

Il y avait une fois un homme qui était heureux : de basse naissance, pauvre, laid et perdu comme esclave dans la bureaucratie des riches, il écoutait cependant tout le long du jour bruire dans sa tête une caravane de désirs accessibles. À ses compagnons, il disait en conversant la beauté des sultanes amoureuses, les douceurs de la brise qui passe dans les pêchers en fleur à l’aube douce, la chanson de la lumière ou tant d’autres choses si belles que, bouche bée, ils songeaient en eux-mêmes : il est fou ! Lui, si laid, n’a jamais été aimé par les sultanes, si pauvre, n’a pas de verger, et il ne voit le soleil qu’une fois la semaine quand il ne pleut pas le jour du Seigneur.
Or, il continua à leur parler de joie avec une ardeur si éblouissante qu’ils finirent par le croire blotti dans la maligne étreinte d’un dieu. Quelques-uns suivirent ses gestes un soir qu’il rentrait chez lui. Et l’homme s’étant arrêté devant l’étal d’un libraire, ils le virent prendre dans sa poche une pincée de rondelles de bronze péniblement gagnée dans la journée et acheter avec elles un livre : Verger, sultane et soleil.

Pour découvrir Giono, je vous conseille Colline.



5 commentaires:

Lili Galipette a dit…

Je viens de terminer "Le chant du monde" de Giono : superbe roman !!
Tu me donnes envie de lire ses nouvelles ! Je me demande si elles ressemblent aux Orientales de Yourcenar !

nathalie a dit…

Je suis assez fan de Giono ! J'en ai plusieurs en stock à lire. Je pense que Yourcenar est plus froide ou intellectuelle (mais c'est un a priori).

Florence 04 a dit…

J'aime beaucoup Jean Giono moi aussi ! La « trilogie de pan », les premiers écrits de Jean Giono, Colline, Regain, Un de Beaumugnes, me touchent particulièrement mais aussi Le chant du monde... rien que de vous écrire ça, j'en ai des frissons...
J'habite non loin de Manosque où il est né et a vécu.

Alex Mot-à-Mots a dit…

Un auteur que j'aimais beaucoup lire quand j'étais ado.

nathalie a dit…

Je connais sa région, allant régulièrement en Montagne de Lure.
Je vois qu'il a des adeptes !