La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 30 octobre 2012

Seul ce lieu l’ensorcelait, débandait sa volonté, le rendait heureux.


Thomas Mann, La Mort à Venise, 1e éd. 1913, Paris, Arthème Fayard, 1947, lu dans Le Livre de Poche (1966) qui a une très belle couverture mais qui ne donne pas le nom du traducteur.

J’ai lu ce court texte comme une pause. Le héros est un vieil écrivain allemand, une gloire nationale fatiguée, Gustav Aschenbach. Par une sorte de révélation, il réalise qu’il doit partir en voyage. Il prend le train puis le bateau et, un peu par hasard, arrive à Venise, dans un bel hôtel. Il y a dans les premières pages quelque chose qui m’a fait penser à Karen Blixen, parce que c’est une Italie décrite par une plume nordique.
Dès le premier jour, il est sous le charme de l’hôtel et de sa clientèle alors que la ville l’oppresse par sa chaleur et sa puanteur. Il essaie de repartir mais, tel le héros de La Montagne magique, revient, attaché par le lieu, incapable de se ressaisir et de repartir. Il comprend alors qu’il est plus que fasciné par un jeune garçon qui se trouve là en vacances, avec sa famille, Tadzio. Il l’aime et ne le dira jamais.

Monet, Gondoles à Venise, 1908,
musée des Beaux-arts de Nantes, RMN.
Pendant qu’il reste là, comme un Charlus ridicule et muet, une maladie silencieuse se développe dans la ville, une épidémie dont le nom ne sera jamais prononcé. On assiste à la décrépitude de Venise, en proie aux miasmes, alors que l’hôtel est un havre enchanté, où le mal ne parvient jamais. Je mentionne Charlus car il semble que nous ayons accès à l’intériorité de cet homme âgé qui se maquille et se poudre. Le portrait du Tadzio n’est pas net : encore en costume marin, adolescent luttant avec les garçons de son âge, jeune homme conscient de l’attention qu’il suscite. Mais à la différence de Charlus, Aschenbach n’envisage pas le passage à la chair et se contente de rêveries empruntant le langage de la mythologie grecque. C’est un très beau texte, qui peut mettre mal à l’aise par la précision de son langage, parce qu’il est gênant d’assister d’aussi près et de façon aussi intime à la décrépitude d’un être.

Qui ne serait pris d’un léger frisson et n’aurait à maîtriser une aversion, une appréhension secrète si c’est la première fois, ou au moins la première fois depuis longtemps, qu’il met le pied dans un gondole vénitienne ? Étrange embarcation, héritée telle quelle du Moyen Âge, et d’un noir tout particulier comme on n’en voit qu’aux cercueils, – cela rappelle les silencieuses et criminelles aventures de nuits où l’on n’entend que le clapotis des eaux, cela suggère l’idée de la mort elle-même, de corps transportés sur des civières, d’événements funèbres, d’un suprême et muet voyage.

J’ai emprunté le DVD du film de Visconti, je vous en parle bientôt. Un élément de la famille Mann pour le défi de Sharon et une étape du viaggio.




dimanche 28 octobre 2012

Humeur du samedi-manche



Aujourd’hui, un vent souffle à décorner les bœufs et à faire valser les pots de fleurs, linge mal accroché et autres trucs traînant dans les petites ruelles de mon quartier, alors je reste à l’abri ! J’en ai profité pour changer la bannière du blog et actualiser les liens des autres blogs (il y a eu pas mal de changements d’adresses ces dernières semaines).
Je donne également des nouvelles du front « Challenges et Lectures communes ». Ainsi que je l’annonçais hier, je me inscrite au Challenge Totem de Lili après avoir hésité sur le choix de l’animal. Finalement, l’envie de publier à nouveau mon billet sur le livre de Doug Peacock a été la plus forte – ce livre est un de ceux qui m’a le plus marquée cette année. J’ai donc choisi l’ours et je vous présente mon totem :
Pépère, mon ours, avec mes
vêtements de bébé. M&M
Mon programme de lecture :
- relire Le bestial serviteur du pasteur Huuskonen d’Arto Paasilinna 
- Descends, Moïse de William Faulkner
- L’Ours de Jules Vallès (court texte paru dans un ouvrage collectif, disponible ici)
- Margotte me suggère L’Ours, histoire d’un roi déchu de Michel Pastoureau mais il me semble l’avoir déjà lu.
On verra si je croise d'autres lectures avec plantigrades...

Je suis aussi inscrite à deux Lectures Communes. La première m’emmènera en Australie avec Ma brillante carrière de Miles Franklin (et le blogoclub) et la seconde en Russie avec Les Cosaques de Léon Tolstoï (organisation par Cryssilda). De quoi m’occuper…

samedi 27 octobre 2012

Une humeur d'ours


Doug Peacock, Mes années grizzly, traduit de l’américain par Josiane Deschamps, 1eéd. 1987, paru chez Albin Michel en 1997, Paris, Gallmeister, 2012.

Il s’agit d’un recueil de plusieurs textes relatant la relation de l'auteur au grand ours américain. Peacock est un ancien du Viêt-nam, revenu inadapté à la vie collective, qui trouve un refuge mental dans les montagnes sauvages. Il part camper dans les régions les plus reculées, celles délaissées par l’être humain (quoique, à l’ère de l’aviation, plus rien n’est à l’abri des bruits de moteur), celles où s’est réfugié l’animal le plus chassé du pays, le grizzly.

L’auteur est fasciné par les grizzlys, par leur proximité avec l’être humain (l’ours est omnivore, ronfle, joue, flanque des baffes à ses petits) et par leur caractère primitif et imprévisible. Une force brute venue de la nuit des temps. Il souligne que leur nature n’a plus aucune place dans un territoire entièrement occupé par l’homme, alors qu’il conviendrait de laisser des espaces où les ours ont le droit de se comporter en ours. Il n’idéalise pas le plantigrade, ayant peur de leur violence, pris de tremblements à l’idée qu’un ours qu’il connaît ait pu s’attaquer à un être humain. Une forêt habitée par un grizzly rend le marcheur plus humble.

L’ours se détourna lentement, avec élégance et dignité, puis, d’un pas cadencé, il s’enfonça dans le bois à l’autre bout de la clairière. J’avais le souffle court et le visage cramoisi. Je sentais que je venais d’être touché par quelque chose de très puissant et de très mystérieux.


Le récit de ces immenses randonnées est très concret, on est loin ici des évocations lyrico-romantiques. Jours de marche, kilomètres, pluviométrie, pente, végétation, espèce des arbres… tout compte si l’on veut camper au milieu de ces animaux. Le moindre élément peut vous sauver la vie et si Peacock est un homme hors du commun, il n’est pas un héros.


Oui, vous avez déjà lu cette chronique (le 20 juillet). Je la publie à nouveau en l'honneur d'un nouveau challenge lancé par Lili consistant à lire autour d'un animal totem. J'ai choisi l'ours... car le livre de Peacock est un des livres qui m'a le plus marquée dans la période récente. Mais je me suis aussi concoctée un petit programme autour du plantigrade !

jeudi 25 octobre 2012

Pour épeler un nom au téléphone, l’abonné ne devrait plus dire « D comme David » parce que David était un prénom juif. Il devrait utiliser « Dora ».


Erik Larson, Dans le jardin de la bête, traduit de l’américain par Édith Ochs, 1e éd. 2011, Pairs, Le Cherche midi, 2012.

Ce livre n’est pas un roman mais un récit tout ce qu’il y a de plus historique : de 1933 à 1937, William E. Dodd, un historien, fut l’ambassadeur des Etats-Unis en Allemagne. Larson fait le récit, minutieux et documenté, des événements majeurs et mineurs de la vie de la famille Dodd et de l’Allemagne durant ces quatre années. C’est… passionnant ! Et désolant, parce que tout est vrai et que l’on connaît la fin de l’histoire.
La diplomatie traditionnelle semble désarmée devant Hitler et son gouvernement, qui ne fonctionne pas comme un gouvernement normal, à qui il est impossible d’adresser les signaux habituels et auquel on ne peut parler. Beaucoup d’acteurs ne prennent pas au sérieux les nazis, d’une stupidité et d’une brutalité crasse, personne ne semble penser qu’ils vont rester longtemps. Il faut aussi reconnaître que beaucoup de personnes sont fascinés par les nazis (c’est le cas de la fille de Dodd), par leur énergie, leur vitalité et sensibles à l’antisémitisme (c’est le cas de plusieurs membres des Affaires étrangères à Washington). Il y a enfin une vraie sidération face à la nouveauté constituée par ce régime politique qui déstabilise tous les repères connus. Si Larson s’attarde longuement sur la personnalité de Dodd et de sa famille, en réalité l’absence de volonté politique des grands états de l’époque est bien plus importante pour comprendre ce qui s’est passé. Le vrai tour de force de ce livre est de parvenir à créer un vrai suspense, on se prendrait presque à espérer un changement de situation.

G. Grosz George, cycle Ecce homo, 1922
Berlin, Kunstbibliothek, image RMN.
C’est très instructif, très bien documenté, il y a de nombreux portraits de personnalités avec toute la gamme de réactions possible. Mais cela se lit plus comme un roman.

Le temps passant, les Dodd se trouvèrent confrontés à une anxiété diffuse qui imprégnait leurs journées et, peu à peu, transforma leur façon de mener leur vie. Le changement s’opéra lentement, se propagea comme une brume pâle qui se glisse dans le moindre interstice. Ce phénomène semblait affecter tous ceux qui vivaient à Berlin. On se mettait à considérer d’un autre œil celui ou celle qu’on retrouvait pour déjeuner, et, de même, le café ou le restaurant qu’on choisissait, parce que des bruits circulaient sur les établissements qui étaient la cible privilégiée des agents de la Gestapo – le bar de l’Adlon, par exemple.

Les avis de Mazel qui a été très impressionnée, et de Miss Alfie (qui n'est pas fan des romans historiques) et de Clara qui trouvent toutes deux qu'il y a un peu trop de détails. Merci au Cherche midi et à VendrediLecture.

mardi 23 octobre 2012

Le cahier des charges contenait une longue succession de contradictions dans les termes, avec un paradoxe à chaque paragraphe.


BIG, Yes is more, traduit de l’anglais par Gabriel Baldessin, 1e éd. 2009, Köln, Taschen, 2010.

BIG est l’acronyme pour Bjarke Ingels Group, un collectif d’architectes de Copenhague. À l’occasion d’une exposition tenue en cette ville et présentant tous leurs projets, ils ont réalisé ce livre. Le sous-titre, une bande dessinée sur l’évolution architecturale, est totalement trompeur : il ne s’agit pas ou peu de dessins ni d’une histoire de l’architecture. Mais le titre est exact : Yes is more, oui, on peut construire pratique, économique, beau, écologique, en s’amusant, en répondant à toutes les contraintes.


Le livre présente les projets réalisés et non réalisés du collectif : barres d’immeubles, musée, salle de spectacles, tours. Grâce à des photos des lieux, des images numériques des projets, des schémas et beaucoup d’explications, ils parlent clairement des contraintes qui pèsent sur le projet architectural : les dimensions du terrain, les lois et le code d’urbanisme, les associations de riverains, tout ce qu’il faut prendre en compte de façon concrète. 


On n’est pas ici dans l’architecte pompeux qui déclare les yeux posés sur la ligne bleue de l’horizon « Ce bâtiment, c’est d’abord un geste » mais tout simplement dans le « comment on fait ? ». C’est très pédagogique et moi qui ne connais rien à l’architecture contemporaine, j’ai trouvé ça très bien fait. L’ensemble est un peu long, il vaut mieux ne pas le lire d’une traite, mais permet de regarder d’un œil rafraîchi l’architecture.


Vous verrez ainsi comment on peut présenter un projet architectural en lego, comment répondre aux attentes irréalistes des commanditaires (le projet d’hôpital psychiatrique est très bon), comment les élections municipales et les faillites empêchent les plus beaux projets se réaliser.


En cliquant dessus, les images s'agrandissent.

dimanche 21 octobre 2012

Humeur du samedi-manche : tout va bien !

Bonjour à toutes et tous,
jusqu'à hier soir, j'ignorais quelle serait la couleur de ce billet d'humeur. Il faut dire que Moustachu a été malade (oui, ça arrive souvent), obligé de rester couché pendant toute la semaine. Les jours ont été tristes... Mais heureusement, hier soir, j'ai pu le récupérer sain et sauf. Nous avons donc pu nous rendre à l'Opéra de Marseille (décidément un lieu que j'aime) pour écouter le Concerto n° 3 pour piano de Rachmaninov et la Symphonie n° 1 "Titan" de Mahler, c'était magique. La question est donc : quand est-ce que je prends le temps de faire le gâteau corse promis ? Le principal intéressé est en train de ronfler pendant que j'écris ce billet - oui, le bonheur a quelquefois une drôle d'allure.

J'ai actuellement 4 lectures en cours : Dans le jardin de la bête d'Erik Larson que j'ai bien avancé lors des pauses déjeuner, Mort à Venise de Thomas Mann que j'ai débuté le soir, une Anthologie de la poésie classique chinoise que je découvre lentement et le recueil des nouvelles de Mark Twain, Le Rapt de l'éléphant blanc, dont j'ai lu la moitié, soit 400 pages. Un jour, je vous parlerai de chacun de ces livres...

Chardin, Le Panier de fraises des bois, collec.
privée, photo RMN.

Je vous laisse avec un de mes tableaux préférés de Chardin. Il est tout petit, le fond brun est mystérieux, duveteux, avec du brouillard. La pyramide de fraises est fragile, d'un rouge un peu éteint. Les oeillets jettent une tache blanche éclatante. Et dans le verre transparent, dans l'eau transparente aussi, le rouge et le blanc se déforment et se troublent. Le peintre est un magicien...


jeudi 18 octobre 2012

Notre corps, c’est rien de plus que des feuilles de mûrier pour nourrir les vers à soie, il faut qu’il soit sacrifié !


Kobayashi Takiji, Le Bateau-usine, traduit du japonais par Evelyne Lesigne-Audoly, 1e éd. 1929, Paris, Éditions Yago, 2010.

Le roman raconte une campagne sur un bateau-usine japonais, pêchant et mettant en boîte le crabe, dans les mers du Nord, entre Japon et Russie – on est dans les années 30, en pleine confrontation d’avant-guerre. L’auteur ne décrit pas vraiment les techniques ou l’organisation du travail mais dénonce l’esclavage dans lequel sont tenus les ouvriers. L’embauche (ou plutôt le rabattage) est décrite, puis leurs conditions d’existence misérables. La promiscuité, la saleté, le froid, les tempêtes, les maladies, la violence des sévices endurés, tout cela est décrit avec un grand réalisme et tout est documenté. Étonnamment, pour un roman à thèse, c’est extrêmement prenant. En s’arrêtant tour à tour sur chacun des personnages, Kobayashi explique les mécanismes de l’exploitation : les paysans pauvres expulsés de leurs propres terres, qui vont grossir les villes, les usines, les mines, la fortune colossale des armateurs qui possèdent les bateaux (les conserves de poisson sont un produit d’exportation réputé), l’armée qui protège les intérêts économiques, les différences sociales entre Tokyo et les îles plus éloignées.

Le roman reste pourtant très humain, malgré sa dureté et sa noirceur. Les marins, pêcheurs et ouvriers sont décrits comme un collectif, il n’y a pas de héros individuel. Ce qui intéresse l’auteur est la façon dont les pauvres réagissent peu à peu face à leurs conditions. C’est un roman sur le travail très prenant, à la langue sobre.

Dans la mer d’Okhotsk, la couleur de la mer se changea brusquement en gris. Le froid piquant transperçait les vêtements des ouvriers, dont les lèvres étaient violettes. Plus l’air devenait froid, plus soufflait en bourrasque une neige fine, sèche comme du sel. Les hommes au travail sur le pont devaient se recroqueviller à plat ventre pour éviter les attaques des flocons qui venaient se planter dans les mains et les visages comme autant de minuscules éclats de verre.

Les avis de Catherine et de Choco.  


mardi 16 octobre 2012

Béguines, mystiques, recluses volontaires parvenaient parfois à mener leur entourage et gagnaient une liberté autrement inconcevable.


Carole Martinez, Du domaine des Murmures, Paris, Gallimard, 2011.

Un livre qui a eu beaucoup d’écho à sa sortie et qui m’avait immédiatement tentée. Je l’ai enfin lu et je ne regrette pas.
La narratrice Esclarmonde est la fille du seigneur des Murmures, en plein XIIe siècle. Parfaitement consciente de son rôle et de son monde, au jour de son mariage avec Lothaire, elle choisit de devenir une recluse, de passer le reste de son existence dans une petite chapelle attenante au château. Loin de disparaître au monde, elle devient le centre d’intérêt d’une multitude de pèlerins, directrice des cœurs et des esprits. Son influence se fera sentir jusqu’en Orient, au cœur des croisades. Je n’en dis pas plus…
Château d'Harcourt. M&M
C’est d’abord un livre dont l’écriture est très agréable, un peu précieuse mais légère, élégante sans lourdeur, pour nous faire passer la magie d’un Moyen Âge plein de merveilles et de miracles. Le statut de quasi sainte d’Esclarmonde lui permet de raconter l’histoire à la fois de l’intérieur et en surplomb, avec un recul historique, ce qui donne au récit une profondeur inattendue. Notre compréhension du mode de vie médiéval s’en trouve également améliorée.

Le monde n’était plus pour elle cette matière souple dans laquelle il fait bon se mouvoir, se plonger, cette matière dont on tire jouissance ; le monde, autrefois délicieux, avait gelé et l’avait prise dans sa masse, elle y était incluse comme un insecte englué dans la cire d’une chandelle.
Quelle leçon de dignité que ce pas lent du vieillard !
Comme j’admirais son douloureux effort pour aller, cette patiente lutte qu’elle menait contre le poids du corps inerte !
  
Donc… je m’étais inscrite joyeusement à la LC Cœur cousu de Carole Martinez, LC lancée par Cryssilda, en me disant « un livre que j’ai depuis longtemps, je vais enfin pouvoir le lire ». En ouvrant le livre en question, j’ai réalisé que ce n’était pas Le Cœur cousu que j’avais mais Du domaine des Murmures… LC à l’eau !


dimanche 14 octobre 2012

Humeur du samedi-manche : lire et manger



Mardi, je suis allée faire ma visite mensuelle à ma librairie et jamais je n’ai aussi bien répondu à mon pseudonyme. J’ai en effet acheté le livre de Joseph Czapski, Proust contre la déchéance, paru l’année dernière et dont Grillon parle très bien ICI. Je suis également repartie avec un livre repéré dans la presse : L’Autobiographie de Mark Twain. Une histoire américaine, un truc énorme que je lirai dans un certain temps et dont Obama a aussi très bien parlé. À propos de Twain dont je ne vous parle guère, ne vous inquiétez pas : l’intégrale de ses nouvelles trône au pied du lit et j’avance lentement dans les 800 pages du volume, dégustant une nouvelle régulièrement. Je viens de finir Le Journal d’Adam et Ève qui donne d'abord la parole à Adam :
Cette nouvelle créature aux cheveux longs est partout. Toujours dans les parages, à me suivre sans relâche. Je n’aime pas ça, je ne suis pas habitué à la société.

J’ai aussi effectué une plongée dans les petits fascicules sur la cuisine corse envoyés par Syl. Il y a de nombreux plats tout ordinaires rendus corses par l’adjonction de brousse. La brousse, c’est le bien ! Délicieux en quiche, pour faire une sauce pour les pâtes, pour farcir champignons, poivrons ou autres. Personnellement, j’ai eu un faible pour l’omelette à la brousse et à la menthe, moelleuse et fraîche tout à la fois. 

L'omelette délicieuse

J’ai aussi testé la soupe aux pois chiches dont je vous donne la recette.

Soupe aux pois chiches
500g de pois chiches (quantité à adapter selon le nombre de convives)
oignon, poireau, tomate, huile d’olive.

Sur la recette est écrit en gros « préparation 20 mn » mais la cuisine, c’est un peu comme les contrats d’assurance, il faut lire les petites lignes.
Donc LA VEILLE il faut mettre les pois chiches à tremper avec du sel.
Le jour où vous voulez manger la soupe, mettez les pois chiches dans 2-3 litres d’eau salée. Il faut faire cuire jusqu’à ce que la peau se détache. C’est écrit en petit sur la recette : Il FAUT 2 HEURES.
Ensuite, émincez oignon et poireau. Faites-les revenir dans la poêle avec la tomate en morceaux. On peut mouiller avec le bouillon des pois chiches.
Puis premier cas de figure : vous avez un moulin à légumes. Dans ce cas, vous versez le contenu de la poêle dans la casserole, laissez cuire 5-10 mn. Vous moulinez le tout à la fin de la cuisson.
Second cas de figure : pas de moulin à légumes. Dans ce cas, il faut écraser les pois chiches au presse-légumes ou à la fourchette et mixer le contenu de la poêle avant de tout mélanger et de finir la cuisson.
La prochaine fois j’ajouterai quelques épices, mais c’est déjà très bon.



Oui, en dessert il y avait du fiadone selon la recette de Syl. Je vais bientôt aborder la catégorie "gâteaux corses" avec la farine de châtaigne, je vous tiens au courant.

Marie-Hélène Ferrari, Cuisine simple et gourmande de Corse. Les entrées. Les légumes. Porto Vecchio, Éditions Clémentine, 2010. Quatrième participation au challenge gourmand de Syl.

vendredi 12 octobre 2012

Scott fait des romans, mais Zelda fait sensation.


Kendall Taylor, Zelda et Scott Fitzgerald. Les années 20 jusqu’à la folie, traduit de l’américain par Camille Fort, 1e éd. 2001, Paris, Autrement, 2002.

J’avais un poil de méfiance en abordant cette biographie car je craignais quelque chose de trop binaire. Mais si l’on plaint Zelda et que Scott est bien un beau salopard, Taylor restitue bien la complexité et la profondeur de leur relation.

 Il s’agit d’une biographie de Zelda et du couple Fitzgerald, les deux étant envisagés comme une entité, ce qui est intéressant. S’il n’est pas question pour moi de vous relater la vie de ces deux auteurs bien connus (et puis Asphodèle raconte très bien), j’ai envie de souligner quelques aspects remarquables. Tout d’abord, la vie des Fitzgerald a un point commun avec la biographie de Taylor : il s’agit de collectionner les noms propres. Toutes leurs relations sont listées : riches familles américaines, auteurs, condisciples de lycée, danseurs, journalistes, stars, fêtards… Certaines reconstitutions de milieux sont impressionnantes comme le New York, le Paris autour de Gertrude Stein, les clubs de jazz noir américains de Paris… Le décalage d’époque est aussi impressionnant. On connaît le plaisir que prend Zelda à choquer son monde : par exemple, elle se rend à la piscine de Montgomery alors qu’elle est enceinte, et la vue de ce gros corps de femme est apparemment un grand scandale ! J’ai aussi été frappée par le fait que Taylor peut reconstituer le moment exact de chaque photo de Zelda qui nous est parvenue : on est bien loin de notre époque où les photos se multiplient chaque jour !

En ce qui concerne le couple Fitzgerald, tout est raconté, de la rencontre à la destruction. Le personnage que chacun joue, ses faiblesses et ses contradictions. Il manque quelques considérations sur les œuvres littéraires à mon goût même si je reconnais que ce n’est pas le propos de l’auteur. Mais à propos de Gatsby le magnifique cela m’a manqué. Il faut reconnaître que Taylor le fait très bien à propos du personnage de la flapper, montrant bien ce que ce mythe doit à de vraies jeunes filles et notamment à Zelda qui incarne un modèle dans son paroxysme, comment il doit aussi à plusieurs écrivains et notamment à Fitzgerald qui reprend des pages et des tirades de sa femme tout en créant un véritable personnage symbolisant toute une époque.
Période de liberté et de conservatisme et de sexisme, tout est mêlé.


E. Hopper, Tables pour Dames, 1930
New-York, The Metropolitan Museum of Art, image RMN.

 Extrait d’une lettre de Zelda à Scott, digne d’une peinture impressionniste :
La Madeleine était-elle rose, à cinq heures du soir, et les fontaines chutaient-elles avec une délicatesse un peu creuse dans le cadre que dessine l’espace sur la place de la Concorde ? demanda-t-elle à Scott. Le bleu sortait-il en catimini de derrière les colonnades dans la rue de Rivoli, à travers les Tuileries, et le Louvre était-il gris et et métallique dans le soleil, et les arbres ployaient-ils moroses au-dessus des cafés, et y avaient-il des lumières la nuit, et le cliquetis des soucoupes, et les klaxons des voitures qui jouaient Debussy ?

Je suis en train d’achever ma lecture et j’ai hâte de lire les écrits de Scott et de Zelda maintenant !
10/12 pour les 12 d'Ys. Une troisième participation au défi d'Asphodèle Fitzgerald et les enfants du jazz. Et une deuxième pour Histoire de familles.



mercredi 10 octobre 2012

Je suis diplômé de l’université de l’oubli et j’ai les mains aussi vides qu’une chemise sur une corde à linge.


Tomas Tranströmer, Baltiques. Œuvres complètes. 1954-2004, traduit du suédois par Jacques Outin, Paris, Gallimard, 2004.

Je vous ai déjà proposé deux poèmes de Tranströmer : En mars - 79 et le début d'Épilogue. Mon exemplaire est tout corné. J’ai beaucoup aimé ce poète. Les textes sont simples mais sincères, laissant passer une personnalité interne désemparée. Encore deux extraits donc :
   
Sombres cartes postales

Il arrive au milieu de la vie que la mort vienne prendre nos mesures. Cette visite
s’oublie et la vie continue. Mais le costume
se coud à notre insu.


Eugène de Suède, Le Vieux château
1912, Paris, musée d'Orsay, image M&M.

Histoire de marins

Il y a des jours d’hiver sans neige où l’océan est parent
d’un pays de montagne, tapi dans sa parure de plumes grises,
un court instant en bleu, de longues heures avec des vagues comme des lynx
pâles, cherchant vainement un appui sur le gravier des plages.

Mango aussi a un faible pour lui : elle en fait une présentation ICI, publie le poème Courte pause pendant le concert d'orgue court et suggestif et en parle de temps en temps.
J’ai toujours un recueil de poésies sur ma table de nuit. Avant, c’était Supervielle, après Tranströmer, ce sera au tour de la poésie chinoise.

lundi 8 octobre 2012

Si, pour Ames, le temps avait semblé s’éterniser, le train s’était arrêté quatre minutes seulement en gare de Hackney.


Kate Colquhoun, Le Chapeau de M. Briggs, traduit de l’anglais par Christine Laferrière, éd. 2011, Paris, Christian Bourgeois, 2012.

Le sous-titre est Récit sensationnel du premier meurtre commis à bord d’un train anglais  et dit tout le propos du livre. C’est un livre d’histoire mais écrit comme un roman policier et relatant une histoire vraie de bout en bout : le premier crime commis dans un train anglais en 1864 et sa résolution. Colquhoun s’appuie sur les archives judiciaires et la presse mais construit son texte comme un récit, en soulignant ses hypothèses personnelles ou ce qui est remarquable. Nous avons ainsi un véritable portrait de la Londres de ce temps :
- les premiers trains et leurs compartiments isolés (une fois enfermé, on ne peut même plus appeler au secours)
- les quartiers populaires de Londres, le rôle des prêteurs sur gage dans l’économie (ils permettent de donner accès immédiatement à de la monnaie sonnante et trébuchante)
- la presse du temps : tous les détails de l’enquête sont constamment dans les journaux, il n’y a aucun secret de l’enquête
- la peur du peuple : des foules immenses se rassemblent à tous les épisodes du procès ou lorsque l’assassin présumé est arrêté, la peur constante de l’émeute
- l’évocation saisissante des conditions de transport dans les transatlantiques à voile et à vapeur (car le suspect tente de s’enfuir aux Etats-Unis) : inhumaines. Il n’y avait pas encore de télégraphe entre les continents et les contemporains en sont réduits à guetter les bateaux et leur livraison de la presse.
- un passage par New York alors en pleine guerre de Sécession, dans une ville en construction.
On apprend des tas de choses, c’est écrit simplement et c’est palpitant ! J’ai beaucoup aimé.

L. Walden, Les Docks de Cardiff1894, Paris, musée d'Orsay, image RMN.

Le début 
Dans la soirée du 9 juillet 1864, Benjamin Ames, chef de train âgé de trente-huit ans, avait les nerfs à cran. Le train de 9h45 en provenance de la gare de Fenchurch Street, à Londres, et à destination de la banlieue de Chalk Farm avait déjà cinq minutes de retard et, dans la bousculade, il n’y avait pas le temps de verrouiller les portes des voitures entre les arrêts.

Merci ma frangine pour ce cadeau. L'avis d'Yspaddaden et le lien vers le défi victorien d'Arieste.




samedi 6 octobre 2012

Humeur du samedi-manche : peinture


Ainsi que je le braille à droite et à gauche depuis quelques jours, je suis en manque de peinture. Donc, je me fais plaisir en fouillant mon ordinateur...

P.-J. Elinga, La Balayeuse, vers 1670, Paris,
Petit palais, image M&M.

Un tableau qui doit particulièrement plaire à Grillon : jeux de lumière subtils sur le mur et le sol, feuillage entr'aperçu par les fenêtres, une mystérieuse silhouette de dos... tout l'art de la peinture du Nord !

J'en viens à mon très cher XVIIIe siècle français...

M.-Q. de La Tour, P.-L. Laideguive, v 1761 pastel,
 Barcelone, Musée national d'art catalan, image M&M
D'abord un portrait du magicien Maurice-Quentin de La Tour : le réalisme des traits physiques avec la personnalité qui transparaît dans l'attitude familière et le foulard sur la tête. Et la poussière du pastel qui rend la peau douce et brillante, le costume et ses broderies, avec ce mystérieux petit roman... la dentelle blanche de la chemise dépasse discrètement.



Lors de mon billet sur le musée de l'Ermitage je vous avais montré une très belle toile de Santeuil, en voici une autre, conservée à Barcelone :

Santerre, Jeune femme dormant, av. 1710,
Barcelone, Musée national d'art catalan, image M&M.
Cette fois le visage n'est pas caché dans l'ombre mais plongé dans le sommeil, tout autant inaccessible. Le flou de la photo s'allie au moelleux du pinceau pour ce visage vaporeux. Quel beau camaïeu de bruns ! Les cheveux, le costume, la tapisserie, la peau rosée aux ombres brunes... un tableau tout en douceur.


Changeons d'époque et retournons à l'Ermitage pour un Van Gogh qui m'avait frappée par ses couleurs vives et sa quiétude. Les fleurs, les fleurs, tout est harmonie, couleur et lumière.

Van Gogh, Souvenir du jardin à Etten ou Femmes d'Arles,
1888, Saint-Petersbourg, Ermitage, image M&M.
Bientôt, retour aux livres. Merci de me suivre dans mes rêveries colorées...

jeudi 4 octobre 2012

Et la nuit coule d'est en ouest à la vitesse de la lune.


En mars – 79

Las de tous ceux qui viennent avec des mots, des mots mais pas de langage,
je partis pour l’île recouverte de neige.
L’indomptable n’a pas de mots.
Ses pages blanches s’étalent dans tous les sens !
Je tombe sur les traces de pattes d’un cerf dans la neige.
Pas des mots, mais un langage.

Une pause après un mois de septembre intense et plein de travail, une respiration alors que j’entame de gros livres très prenants. J'ai déjà cité Tranströmer, ici.

Tomas Tranströmer, « En mars – 79 », extrait de La Place sauvage, recueil de 1983, dans Baltiques. Œuvres complètes, traduit du suédois par Jacques Outin, Paris, Gallimard, 2004.

mardi 2 octobre 2012

Voilà trente-cinq ans que je travaille dans le vieux papier, et c’est toute ma love-story.


Bohumil Hrabal, Une trop bruyante solitude, traduit du tchèque par Anne-Marie Ducreux-Palenicek, 1e diffusion clandestine à Prague en 1976, Paris, Robert Laffont, 1983.

Un très court et très fort roman. Le narrateur passe ses journées dans une cave à presser des livres. Avec sa machine, il fabrique des blocs de papier qui seront ensuite envoyés à une usine de papier recyclé pour devenir… des journaux, d’autres livres… Mais nous ne sommes pas dans un monde habituel. Car les livres arrivent par tonnes, toujours renouvelées. Pendant la Seconde guerre mondiale, les livres venaient de belles bibliothèques. Mais la guerre a cessé et les livres sont toujours pilonnés et détruits, tous. Le narrateur le fait à sa manière sensible, plaçant au cœur de chaque ballot un livre de philosophie, enveloppant ses bottes de livres de reproductions d’art, volant quelques beaux livres, les redonnant, les lisant en cachette, les sauvegardant chez lui. Il fait mal son travail et n’est pas très efficace, un peu vieux dans cette société jamais décrite mais où la vie se glisse dans des interstices, où les livres ont la valeur de leur papier. Le narrateur a la tête emplie des philosophes qu’il a lus en cachette, des souris qui font leur nid dans les tas de papier et qu’il écrase avec sa presse et de tous ses souvenirs…


H. Hoffman, Autodafé du 10 mai 1933, étudiants et 
membres du S.A. chargent des livres destinés à être 
détruits sur un camion, Munich, 
Bayerische Staatsbibliothek, image RMN.


C’est un livre triste, qui n’est pas sans rappeler Fahrenheit 451 même si le monde représenté nous est beaucoup plus proche. Une écriture très sensible aussi qui rend parfaitement les états d'âmes du narrateur avec ses rêves, vivant dans une société glaciale.

Si je me retourne brusquement, si je crie ou m’agite en dormant, j’entends, épouvanté, le glissement des livres, il suffirait d’un frôlement, d’un cri pour que tout s’abatte du ciel sur moi comme une avalanche, une corne d’abondance qui viderait sur moi ses livres rares et m’aplatirait comme un pou, j’ai souvent l’impression d’un complot tramé par ces livres pour venger les innocentes souris que je mets tous les jours en bouillie.

Un livre prêté par Ysa, merci !
L'avis de L'or des livres,