La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 30 octobre 2012

Seul ce lieu l’ensorcelait, débandait sa volonté, le rendait heureux.


Thomas Mann, La Mort à Venise, 1e éd. 1913, Paris, Arthème Fayard, 1947, lu dans Le Livre de Poche (1966) qui a une très belle couverture mais qui ne donne pas le nom du traducteur.

J’ai lu ce court texte comme une pause. Le héros est un vieil écrivain allemand, une gloire nationale fatiguée, Gustav Aschenbach. Par une sorte de révélation, il réalise qu’il doit partir en voyage. Il prend le train puis le bateau et, un peu par hasard, arrive à Venise, dans un bel hôtel. Il y a dans les premières pages quelque chose qui m’a fait penser à Karen Blixen, parce que c’est une Italie décrite par une plume nordique.
Dès le premier jour, il est sous le charme de l’hôtel et de sa clientèle alors que la ville l’oppresse par sa chaleur et sa puanteur. Il essaie de repartir mais, tel le héros de La Montagne magique, revient, attaché par le lieu, incapable de se ressaisir et de repartir. Il comprend alors qu’il est plus que fasciné par un jeune garçon qui se trouve là en vacances, avec sa famille, Tadzio. Il l’aime et ne le dira jamais.

Monet, Gondoles à Venise, 1908,
musée des Beaux-arts de Nantes, RMN.
Pendant qu’il reste là, comme un Charlus ridicule et muet, une maladie silencieuse se développe dans la ville, une épidémie dont le nom ne sera jamais prononcé. On assiste à la décrépitude de Venise, en proie aux miasmes, alors que l’hôtel est un havre enchanté, où le mal ne parvient jamais. Je mentionne Charlus car il semble que nous ayons accès à l’intériorité de cet homme âgé qui se maquille et se poudre. Le portrait du Tadzio n’est pas net : encore en costume marin, adolescent luttant avec les garçons de son âge, jeune homme conscient de l’attention qu’il suscite. Mais à la différence de Charlus, Aschenbach n’envisage pas le passage à la chair et se contente de rêveries empruntant le langage de la mythologie grecque. C’est un très beau texte, qui peut mettre mal à l’aise par la précision de son langage, parce qu’il est gênant d’assister d’aussi près et de façon aussi intime à la décrépitude d’un être.

Qui ne serait pris d’un léger frisson et n’aurait à maîtriser une aversion, une appréhension secrète si c’est la première fois, ou au moins la première fois depuis longtemps, qu’il met le pied dans un gondole vénitienne ? Étrange embarcation, héritée telle quelle du Moyen Âge, et d’un noir tout particulier comme on n’en voit qu’aux cercueils, – cela rappelle les silencieuses et criminelles aventures de nuits où l’on n’entend que le clapotis des eaux, cela suggère l’idée de la mort elle-même, de corps transportés sur des civières, d’événements funèbres, d’un suprême et muet voyage.

J’ai emprunté le DVD du film de Visconti, je vous en parle bientôt. Un élément de la famille Mann pour le défi de Sharon et une étape du viaggio.




3 commentaires:

Eimelle a dit…

Je garde un joli souvenir de cette lecture, qui m'avait envie de découvrir le Lido...

Alex Mot-à-Mots a dit…

Je n'avais aimé ni l'ambiance, ni l'histoire. Et je n'ai jamais accroché au film non plus.

nathalie a dit…

Alex... ma pauvre, il ne faut pas que tu lises mes prochains billets alors !