La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mercredi 8 février 2012

Le cocher rit et fouetta. Il rit aussi, et le cocher demeura silencieux.


Je me suis inscrite de bon cœur au défi victorien lancé par Aymeline en me promettant de lire Kipling, les sœurs Brontë et Georg Eliot suggéré par Grillon. Aymeline, chef de challenge dynamique, organise des mois thématiques et février, c’est Oscar Wilde.


Je viens de relire Le Portrait de Dorian Gray, non pour en faire un billet sur ce blog mais pour me le remettre en mémoire. J’ai d’autant plus apprécié cette relecture que j’avais totalement oublié que ce roman contient un éloge appuyé à Théophile Gautier et à son recueil Émaux et Camées (mais je ne devais pas connaître la poésie Gautier lors de ma première lecture).
Renversé, les yeux mi-clos, il se répétait sans cesse :
Devant une façade rose,
Sur le marbre d’un escalier.
Tout Venise était dans ces deux vers. Il se rappela l’automne qu’il y avait passé et le merveilleux amour qui l’avait amené à commettre des folies insensées et délicieuses. Il y a du romanesque partout, mais Venise, comme Oxford, a conservé un décor de roman, et, pour un homme vraiment romanesque, le décor, c’est tout, ou presque tout.

Relisons Gautier :
Venise pour le bal s’habille.
De paillettes tout étoilé,
Scintille, fourmille et babille
Le carnaval bariolé.

En réalité, c'est tout le recueil de Gautier que dévore Gray pour essayer, vainement, d'oublier ce qu'il vient d'accomplir :
Il médita les vers qui, tirant leur musique d’un marbre marqué de baisers, parlent de l’étrange statue que Gautier compare à une voix de contralte, ce monstre charmant tapi dans la salle de porphyre du Louvre. Mais après un temps, le livre glissa de sa main.

J. Whistler, Symphonie en Blanc, N°2 - 
La Petite Fille blanche, 1864
Londres, Tate Collection, image RMN
Le fameux poème commence ainsi :
On voit dans le Musée antique,
Sur un lit de marbre sculpté,
Une statue énigmatique
D’une inquiétante beauté.

Gautier donne la note esthétique (l’art pour l’art, c’est lui), tout en glaçant le thème. Rapprocher Dorian Gray des statues des poèmes de Gautier le fige dans une éternité un peu précieuse et recherchée.

Autre héros de roman français qui sert de modèle à Dorian Gray, le Des Esseintes d’À rebours de Joris-Karl Huysmans. Au cours de sa vie, Gray aura diverses passions, les plantes exotiques, les parfums, les tentures anciennes, les œuvres d’art, se lassant de tout et restreignant de plus en plus sa vie aux mètres carrés de son hôtel.
Il ressentait des faims insensées qui devenaient d’autant plus féroces qu’il les rassasiait.(...)
Car ces trésors, ainsi que toutes les collections de sa belle maison, étaient pour lui des moyens d’oublier, des façons d’échapper, pour un temps, à une peur qui quelquefois lui paraissait intolérable.

J’ai relu Le Portrait tout en ayant sous les yeux le catalogue de l’exposition qui vient d’avoir lieu au Musée d’Orsay, Beauté, morale et volupté, adaptation française de l’exposition The Cult of Beauty : The Aesthetic Movement 1860-1900. Si vous pouvez vous le procurer en bibliothèque, je vous le conseille vraiment. C’est un très bel album qui campe l’atmosphère du roman de Wilde : les objets japonisants, le goût pour la Renaissance préraphaélite, les objets d’art précieux de toutes sortes, l’importance de ces maisons dont le décor est pensé comme un tout…
Rossetti, Jeanne d'Arc embrassant l'épée de la délivrance
1863, Strasbourg, musée d'Art moderne, image RMN.
Une horrible fascination se dégageait d’eux tous. Il les voyait la nuit et, le jour, ils troublaient son imagination. La Renaissance connaissait d’étranges manières d’empoisonnements : au moyen d’un casque, d’une torche enflammée, d’un gant brodé, d’un éventail orné de joyaux, d’un brûle-parfum doré et d’une chaîne d’ambre. Dorian Gray avait été empoisonné par un livre.

Tout cela pour dire que je vais lire la Salomé d’Oscar Wilde… Salomé car Huysmans dans À rebours en livre une très belle évocation, en rendant hommage à Gustave Moreau :
Elle est presque nue ; dans l’ardeur de la danse, les voiles se sont défaits, les brocarts ont croulé ; elle n’est plus vêtue que de matières orfèvreries et de minéraux lucides ; un gorgerin lui serre de même qu’un corselet la taille, et, ainsi qu’une agrafe superbe, un merveilleux joyau darde des éclairs dans la rainure de ses deux seins ; (…).
Et on retrouve encore cette association de la sensualité de la femme nue et des matières froides et glacées.
Moreau, L'Apparition, vers 1876
Paris, musée Gustave Moreau
image RMN.
Salomé car il y a en arrière plan Hérodias, le conte de Gustave Flaubert et Hérodiade, le long poème de Stéphane Mallarmé : 
                        Reculez.
Le blond torrent de mes cheveux immaculés,
Quand il baigne mon corps solitaire le glace
D’horreur, et mes cheveux que la lumière enlace
Sont immortels. Ô femme, un baiser me tûrait
Si la beauté n’était la mort…

Et parce que le cataogue Beauté, morale et volupté contient une présentation des Salomé du XXe siècle au cinéma et à l’opéra*. Donc, bientôt sur ce blog, un billet sur Salomé de Wilde.


Extraits de :
Stéphane Mallarmé, Hérodiade. Scène, 1865. Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray, traduit de l’anglais par Vladimir Volkoff, 1890. Joris-Karl Huysmans, À rebours, 1884. Théophile Gautier, extrait de Contralto et Variations sur le carnaval de Venise, dans Émaux et Camées, 1852. Beauté, morale et volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde, cat. expo., Musée d’Orsay, 2011.

Retrouvez tous les billets du défi victorien chez Aymeline.




*Je pense que les gens d’Orsay essaient de me faire une grande déclaration d’amour puisque la nouvelle exposition est consacrée à Akseli Gallen Kallela, le grand peintre finlandais.

7 commentaires:

grillon a dit…

Je n'ai pas pu visiter l'expo au musée d'Orsay mais j'ai acheté le catalogue de " Beauté, morale et volupté ", c'est vrai qu'il est passionnant. C'est amusant, c'est aussi une exposition dans un musée qui m'a fait lire Le Portrait de Dorian Gray, une expo de portraits au musée de Quimper. Ton article est magnifique, j'admire !

nathalie a dit…

J'ai pensé à toi, je sais que tu aimes les catalogues d'expo et j'étais certaine que tu avais celui-là ! Merci pour ton appréciation !

Marie a dit…

Oscar Wilde a écrit une Salomé? Il faudra que je lise Huysmans un jour quand même. Et moi aussi je crois que j'ai bien oublié Le portrait de Dorian Gray!

Asphodèle a dit…

Quel billet magnifique et documenté ! Waouh ! Tu m'as donné envie de le relire, je ne l'ai plus chez moi, il va falloir que je l'emprunte ou que je l'achète, ce sont des livres que l'on a envie d'avoir ça Madame ! Mais dis-moi, c'est toi qui poses près de la cheminée ??? Quel portrait fidèle et follement romantique !^^ Je te l'ai déjà dit, tu aurais été parfaite dans les stucs et les ors pré-raphaélites des palais vénitiens ! ;)

nathalie a dit…

Et bien Marie, beau programme ! Tout le monde a fait sa petite Salomé au XIXe ! Sexe, fanatisme, pouvoir et décadence...
Merci Asphodèle. En ce qui concerne mon air préraphaélite... je ne sais pas si j'aurais pu, bon en parlant très fort en italien, avec plein de gestes des mains pourquoi pas... et puis je veux bien d'un palais vénitien à la réflexion !

Aymeline a dit…

Merci pour le "chef de challenge dynamique", j'arrive enfin pour lire ton billet et j'adore ! Je suis contente de l'avoir lu avant de lire le Portrait de Dorian Gray, comme ça je ferais plus attention aux allusions :) J'espère avoir le temps de lire Salomé ce mois-ci, ça l'air pas mal du tout :D

nathalie a dit…

M'enfin c'est vrai Aymeline, tu as pris les choses en main !
Bonnes lectures...