La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



vendredi 26 août 2011

… putain de ta néandertalienne d’aïeule barbue sur son arbre perchée !

Imre Kertész, Le Refus, traduit du hongrois par Natalia Zaremba-Huzsvai, en collaboration avec Charles Zaremba (1988), Arles, Actes sud, 2001.

Dans ce roman faisant suite à Être sans destin, Kertész revient sur le moment où il est devenu écrivain dans un récit sinueux et complexe.
   Une première partie, d’une centaine de pages, met en scène un vieux, écrivain, vivant de traductions de l’allemand (métier exercé par Kertész), cherchant une nouvelle idée de roman.
Le plus simple serait probablement de dire son âge (si nous n’avions pas horreur de certitudes aussi douteuses qui changent d’une année à l’autre, d’un jour à l’autre, voire d’une heure à l’autre) (qui sait sur combien d’années, de jours, d’heures s’étend notre histoire) (et dans quel sens) (par conséquent nous nous retrouverions dans une situation où nous ne pourrions plus assumer la responsabilité de nos affirmations hâtives).
Imre Kertész en 2002 (Wikipedia)

Il ressort de vieux papiers, notamment l’extrait d’un journal intime et revient sur son passé. Un jour, alors qu’il était auteur de comédies musicales, il avait tout délaissé pour écrire un roman. Dix ans de travail avant d’avoir un manuscrit définitif qu’il présente à une maison d’édition. C’est le manuscrit d’Être sans destin qui est refusé.
 Nous pensons que vous n’avez pas réussi à donner une expression artistique à votre expérience vécue, bien que le sujet soit terrible et bouleversant… les phrases de mauvais goût se succèdent.
 En analysant ses réactions à la lumière de ce refus, il comprend qu’il est désormais un écrivain, un écrivain dont le roman a été refusé.


Qu’est-ce que les lecteurs de la maison d’édition entendaient par « expression artistique de l’expérience vécue » ? Oui : qu’était-il arrivé à mon « expérience vécue », comment avait-elle pu s’estomper sur mon papier et en moi-même ? Pourtant, je l’avais : je l’avais vécue deux fois, une première fois – de façon invraisemblable – dans la réalité, une seconde fois – d’une façon beaucoup plus réelle – plus tard, quand je m’en suis souvenu. Entre ces deux moments, elle a hiberné.


Et puis, une idée lui vient, et il se met à écrire.
C’est la seconde partie, de deux cents pages. Köves revient de l’étranger dans son pays. Il arrive dans une ville qui ressemble beaucoup à celle qu’il a connue (Budapest n’est jamais nommé) mais qui est ruinée. C’est un monde étrange, une police inconnue règne en maître, les ordres sont donnés mais personne ne sait d’où ils viennent, on travaille dans une usine parce que c’est obligatoire, la question de la compétence fait éclater de rire, les logements sont attribués.
« Donc, vous avez été viré. » Elle reprit donc la parole et, sur le ton de la confidence, comme s’ils n’avaient plus rien à se cacher, et en même temps tout bas pour ne pas être entendue par quelqu’un d’autre, alors qu’ils étaient seuls dans la chambre, elle lui demanda :
« Et pourquoi ?... »
Köves répondit :
« Peut-on le savoir ? », et manifestement, cette réponse fit à nouveau son effet :
« Non », dit-elle, en s’asseyant lentement sur la chaise qu’il lui avait déjà proposée mais qu’elle avait refusée.


Aucune question ne trouve de réponse, il vaut mieux continuer à tout ignorer. Il manque quelque chose dans ce monde : la vie. Dans ce qui ressemble fort à un régime communiste (mais aucune indication n’est jamais donnée), Köves se déplace comme un étranger (pas pour rien que Kertész cite toujours en modèle Camus), se laissant faire, ni héros, ni résistant, ni victime. Il rencontre Berg, qui veut écrire une autobiographie, celle d’un bourreau, responsable de dizaines de milliers de morts. Quand finalement (au bout de plusieurs années) l’opportunité se présente de filer à l’étranger, n’importe où ailleurs, Köves choisit de rester pour écrire un roman…


Köves avait seulement l’espoir que si lui était perdu, au moins son histoire pouvait-elle encore être sauvée. Comment avait-il pu s’imaginer pouvoir se cacher, pouvoir échapper au poids de sa vie, comme un animal errant à sa chaîne ? Non, non : il devrait vivre ainsi, le regard fixé sur cette existence, et la regarder longuement, attentivement, émerveillé et incrédule, simplement la regarder jusqu’à y déceler quelque chose qui n’appartiendrait déjà plus à cette vie ; quelque chose qui serait palpable, limité à l’essentiel, indiscutable et accompli comme une catastrophe…


Ce roman se lit lentement, plus lentement qu’Être sans destin, la langue en est plus lourde, plus complexe et le récit pesant. Mais c’est passionnant, ouvre de vraies réflexions. Kertész revient sur les raisons qui l’ont fait écrire, son absence de talent et de vocation. Il raconte le choc éprouvé par le premier refus essuyé par son roman, la Hongrie communiste le rejetant. Il évoque indirectement la vie (ou plutôt l’absence de vie) sous ce régime menaçant et absurde.
Challenge littérature juive de Mazel

3 commentaires:

Marie a dit…

Je ne le connaissais pas. Je m'empresse de noter!

nathalie a dit…

Attention, j'ai cinq romans de Kertész que je suis en train de relire... donc cela ne fait que commencer !

Alex Mot-à-Mots a dit…

De relire ? Ce challenge était donc pour toi.